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ronge la Prusse et qu’il faudra guérir tôt ou tard par le fer et le feu, ferro et igne. » Pour défendre sa Prusse contre la Diète, contre l’hégémonie autrichienne, contre les Princes et leurs ministres, Bismarck (et c’était le résultat le plus clair de son expérience de Francfort) ne voyait qu’un allié, le Peuple allemand ; cette alliance permettrait à Berlin « d’enlever à l’Autriche son influence dominante, » parce que le Peuple, lui aussi, voyait dans l’anarchie fédérale un mal rongeur et ne demandait qu’à l’échanger contre une organisation nationale.

Exciter les espoirs et les rancœurs du Peuple allemand ; en servir les intérêts, surtout les intérêts commerciaux, grâce à cette Union douanière, à ce Zollverein, que la Prusse, dès 1819, avait eu la sagesse de conclure avec nombre de ses petits voisins ; en adopter, de bouche tout au moins, les revendications nationales ; en flatter les manies doctrinales et scientifiques ; en exaspérer la défiance contre l’Autriche cléricale et contre la France napoléonienne ; en satisfaire les vanités et les ambitions à l’extérieur par une politique sans merci contre le faible Danemark ; en séduire l’estime et la sympathie à l’intérieur par une politique d’autorité, et même de compression administrative, mais de légalité, de liberté intellectuelle, d’ordre financier et de progrès économiques ; en mater d’avance les hésitations ou les révoltes par l’étalage d’une force militaire sans égale dans le monde d’alors ; puis, tous préparatifs terminés, recourir au fer et au feu et, par une série d’opérations sanglantes, séparer à jamais l’Allemagne, Princes et Peuple, de l’Autriche et de la France, et donner à l’homme germanique, après trois siècles d’angoisses et de ruines, l’ivresse de la pleine victoire : tel fut le plan que Bismarck réalisa de 1859 à 1871, moins pour assurer au Peuple allemand cette unité dans l’indépendance nationale et dans la liberté démocratique que, depuis 1813, « l’esprit allemand » appelait de tous ses vœux, que pour assurer à la Prusse et à son roi la revanche sur les séculaires avanies de Vienne et de Paris et l’hégémonie sur les traditionnelles libertés germaniques.

C’est ainsi qu’après cinq siècles (1250-1870) d’anarchie, l’Empire allemand fut restauré. L’Ancien Empire, le Saint Empire des Charlemagne et des Barberousse a porté et mérité les titres de « romain » et de « germanique ; » c’est « Empire français de nation allemande » que seraient les véritables titres