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ambitions de succès immédiat et éclatant, mais limité et temporaire. L’un et l’autre, ils ont voulu servir l’Allemagne de leur temps et s’en servir, non pour le triomphe de telles ou telles idées humaines, mais d’abord pour le plus grand bénéfice de leur souverain et pour leur grande réussite, à eux, bien convaincus au reste d’être les délégués de la Providence, les instrumens élus du vieux Dieu germanique.


Après la tourmente de 1848-1850, en mai 1851, la Diète princière de Francfort, qui devait présider aux destins de la Confédération ressuscitée, reprenait ses séances : Bismarck y entrait comme représentant de la Prusse. Il y siégea de 1851 à 1859. C’est en ces huit années qu’il fit ses plans et combina ses moyens. Quand il en sortit, l’œuvre était décidée.

Il y était entré comme ennemi déclaré de la Révolution et des « billevesées » démocratiques, patriotiques, unitaires : il n’avait de foi et d’attachement qu’au particularisme et au régime monarchique, aux traditions prussiennes ; il ne songeait qu’à défendre son Roi, sa Prusse, sa caste de hobereaux, tant contre les menées libérales au sein du royaume que contre les ambitions autrichiennes au sein de la Confédération et contre les menaces françaises au dehors. Son séjour à Francfort lui apprit à mieux connaître ces trois ennemis de la Prusse : l’Allemagne du Midi et de l’Ouest, où continuait de fermenter l’esprit de 1830 et de 1848 ; l’Autriche, dont le délégué présidait la Diète et voulait l’opprimer ; la France, qui, sur l’autre bord du Rhin, s’était jetée de nouveau dans les bras d’un Napoléon.

En 1859, Bismarck, quittant la Diète, dressait en un Mémoire célèbre l’inventaire des dangers qui menaçaient le roi de Prusse et ses ambitions ; le présent lui semblait à peine moins dangereux que l’avenir : « Tant que l’organisation actuelle de la Diète subsistera et que les résolutions de l’Assemblée dépendront uniquement des princes allemands et de leurs ministres, il sera, d’après toutes les prévisions humaines, impossible à la Prusse d’enlever à l’Autriche son influence dominante. Or, la Prusse ne peut pas renoncer à vouloir occuper le même rang que l’Autriche ; elle ne peut pas se résigner à jouer d’une manière sincère et définitive le rôle de seconde Puissance de l’Allemagne… Je vois dans notre situation fédérale un mal qui