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la pierre angulaire de la Prusse et la clef de voûte de l’Empire. » Ce fidèle disciple de Bismarck estimait donc que « l’Empire allemand, situé au centre de l’Europe, insuffisamment protégé par la nature sur ses vastes frontières, doit être et rester un État militaire ; or, de forts États militaires ont toujours eu, dans l’histoire, besoin d’une direction monarchique. »

Mais État militaire et monarchie, ajoutait M. de Bülow, n’impliquent pas forcément pouvoir personnel et bon plaisir : « Une forte monarchie à la tête n’exclut pas naturellement une participation active du peuple aux choses de la vie gouvernementale ; la vie politique de la monarchie moderne est une collaboration entre la couronne et le peuple ; le devoir du gouvernement dans cet âge contemporain est d’éveiller l’intérêt politique de toute la nation par une politique résolument nationale. »

La grandeur de Bismarck et sa force étaient dans cette politique résolument, uniquement nationale. C’est ailleurs que Guillaume II a mis son ambition et son rôle. La Prusse et son armée, l’Allemagne et son unité, l’Empire bismarckien et son hégémonie sur le Continent ne pouvaient plus suffire à Sa jeune Majesté. Ni dans la Prusse ni dans l’Allemagne bismarckiennes, le troisième Hohenzollern ne trouvait un champ assez vaste. Il lui fallait, pour déployer son génie tout entier, les vastes mers et le monde ; il lui fallait, pour porter aisément les charges et les frais de son rôle, les bénéfices et les revenus du commerce universel : la Prusse et l’Allemagne ne pouvaient pas sans les tributs de l’humanité tout entière, subvenir au fardeau financier de cette hégémonie universelle dont rêvait le Hohenzollern de 1890, comme le Hohenstaufen de 1200.

Dans l’Empire bismarckien de 1870 à 1890, la majesté sénile, timide, un peu falote d’un Guillaume Ier et la majesté mourante d’un Frédéric III s’étaient contentées de la place que Bismarck avait bien voulu leur laisser : le Chancelier n’avait eu d’ordinaire qu’à se louer de ses Empereurs. Mais déjà, que de fois il avait dû grogner et se défendre contre les réclamations et les interventions de leurs impératrices ! Que de mal « Elles » lui avaient donné tour à tour, la vieille dame mystique, sentimentale, quasi-française et papiste, et la jeune dame anglaise, libérale, qui avait osé dire un jour : « Ce ne