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hégémonie prussienne qu’en combinant la théorie prussienne de la volonté du Prince avec la théorie allemande du salut de la Nation c’est en sauveur de la Nation qu’il avait exigé et obtenu le droit pour le Hohenzollern de la gouverner. Guillaume II s’en proclamait le maître, et le maître unique, et le maître héréditaire par la grâce de Dieu.

Le Grand-Père, pour devenir empereur, s’était contenté de traités en forme avec les Princes et de leur acclamation à Versailles, puis de la ratification du Peuple et d’un vote en règle du Reichstag. Guillaume II rêva d’onction sacrée, de couronnement religieux. En 1888, la grosse ironie de Bismarck coupa court, dit-on, à ce « projet de mascarade, » pour lequel l’impérial jeune premier avait déjà dessiné les costumes et les accessoires. Mais en 1914, si Guillaume II fût rentré vainqueur dans ce même palais de Versailles, il est probable qu’il y serait devenu l’oint du Seigneur dans la chapelle du Grand Roi, comme autrefois les Ottons ou les Frédérics le devenaient dans la chapelle de l’Apôtre ; prélude de chaque règne, l’expédition de Versailles aurait désormais remplacé pour le nouvel Empire ce qu’avait été la chevauchée de Rome pour l’Ancien ; ainsi Guillaume II aurait été le véritable fondateur, le Charlemagne de ce Saint-Empire français de nation allemande, dont Bismarck et le Grand-Père n’eussent plus été que les précurseurs, les Grimoald et les Pépin.

A défaut de l’onction de la main des évêques, Guillaume II crut avoir reçu de ses pères le droit divin de disposer à son gré de toutes choses : puisque Dieu l’avait envoyé comme empereur, l’Allemagne avait le devoir religieux de le suivre partout où l’inspiration divine le conduirait. Et ce devoir religieux, toute l’expérience des siècles passés en faisait pour les Allemands un devoir historique ; car aujourd’hui, comme autrefois, Dieu envoie des conducteurs inspirés aux peuples qu’il aime et qui lui sont fidèles ; vue d’un peu haut, toute l’histoire de l’Allemagne est éclairée ou obscurcie par les éclats ou les éclipses de cette faveur divine, qui envoie les bons empereurs, suscite les incapables ou même retire l’empire aux Allemands et le concède à d’autres peuples, suivant qu’il est satisfait ou mécontent de la piété et de la fidélité germaniques Ce n’est pas seulement le peuple d’Israël qui, tour à tour, profita des bontés du Seigneur et pâtit cruellement de Ses