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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/196

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panache et le fracas d’un Mars, il n’en avait pas toujours l’audace et l’endurance. Il assénait ses complimens et ses protestations d’amitié avec la massue d’un Hercule, et il faisait de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, des vers, de la musique, des drames et des opéras, avec la tranquille assurance d’un Apollon, mais beaucoup moins bien. Voici quelques vers de sa muse :


« Der Maler Menzel angekommen, »
Hat heut die Torwacht rapportiert,
Wir haben den Befehl vernommen
Und sind auf höchste enchantiert[1]


A l’égard de ses père et mère, il n’avait que retourné les sentimens de famille d’un Saturne et, devant la souffrance et la mort des autres, il eut toujours l’indifférence d’un dieu des Achantis… N’importe : l’Allemagne était auf höchste enchantiert, pourvu qu’au maximum, elle en benefizierte.

Aux temps de l’Ancien Empire, toute fortune étant terrienne, le « bénéfice » ne pouvait être que territorial ; pourvoir de terres chacun de ses fidèles était le premier devoir du Chef. D’où la première nécessité de la politique impériale : toujours agrandir la zone de commandement, les limites de l’empire et ses dépendances, afin de pouvoir agrandir et multiplier les bénéfices, donc le nombre et le dévouement des fidèles. L’Ancien Empire ne subsista que par les conquêtes territoriales aux dépens de tous ses voisins : il succomba dès qu’il voulut vivre sur l’Allemagne.

La fortune, aujourd’hui, vient moins abondante et moins rapide de la terre que de l’industrie, du commerce, de l’agio, des « affaires ; » dans toutes les langues de l’Europe actuelle, ou peu s’en faut, terres et bénéfices ne sont pas termes synonymes, et le patron d’aujourd’hui est celui qui donne, non des champs ou des bois, mais un salaire, et le bon patron est celui qui assure un constant, abondant et grandissant salaire, et l’excellent patron, celui qui ajoute en fin d’exercice une part de bénéfices surérogatoires.

Il n’est pas douteux que Guillaume II s’est efforcé depuis vingt ans d’être le meilleur des patrons pour chacun de ses

  1. Réception du peintre Menzel à Sans-Souci, 13 juin 1895.