dispositions personnelles. De grand matin tout le monde était sur pied, on faisait les derniers préparatifs, sans que rien y parût au dehors et, sauf quelques badauds qui s’arrêtaient quelques instans devant la porte pour voir ce qui se passait dans la cour, la rue avait sa physionomie quotidienne. Vers dix heures, je reçus la visite de Mme Kaïroff, qui était venue me demander s’il était vrai que je partais le jour même. Je lui répondis que cela se pourrait, mais que j’attendais encore des télégrammes de Pétersbourg. Vers onze heures, je reçus la visite du premier secrétaire anglais, Jocelyn, qui était venu de la part de Layard me poser la même question. Je fis dire à l’ambassadeur que je lui apporterais la réponse moi-même à une heure. En attendant, au consulat, on procédait à la remise de nos affaires au consul général allemand, M. Gillet, et moi je travaillais avec le comte Radolinsky pour lui confier nos intérêts : je lui demandais entre autres choses de faire une vente simulée de notre mouche à vapeur qui portait pavillon de guerre et pouvait par conséquent être saisie par les Turcs. Après le déjeuner, je me rendis en voiture chez sir Austin Layard ; la rue était encore presque déserte, quatre heures avant notre départ ! Mais je voulais que ce départ même se fit avec tout l’éclat que comportait la gravité de l’événement et qu’il en restât dans la capitale ottomane une impression sérieuse. Toutes les mesures furent prises en conséquence pour le moment même du départ. Jusque là, tout devait être dissimulé : la rue ne se doutait pas encore du spectacle qui l’attendait si prochainement.
L’ambassadeur d’Angleterre me reçut fort aimablement, m’exprima ses regrets d’avoir été empêché par la maladie de venir me voir et de s’employer pour prévenir la rupture, qui, lui disait-on, était imminente. « Est-ce vrai que vous partez aujourd’hui ? » me demanda-t-il. « Oui, lui répondis-je, j’ai reçu l’ordre de quitter Constantinople, et je pars ce soir. » Layard se mit alors à me supplier de retarder encore cet acte définitif ; il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour trouver un biais qui pût prévenir la guerre. Il me pria de télégraphier à l’Empereur pour demander en son nom à surseoira sa décision ; l’ambassade anglaise userait de tous ses moyens pour empêcher une effusion de sang qu’il savait être si contraire au caractère pacifique et noble de l’Empereur. Je répliquai à l’ambassadeur qu’il était trop tard ; nous avions épuisé tous les moyens