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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/279

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et que M. Onou devait y porter immédiatement. Après cela, vinrent quelques visites d’adieu, l’ambassadeur de Perse, entre autres, le comte Radolinsky qui voulait recevoir mes dernières directions. Ensuite ce furent les préparatifs personnels suprêmes, les petits emballages, les adieux des employés, serviteurs ou agens qui restaient. Enfin, à cinq heures précises, conformément au programme tracé à l’avance, notre cortège quitta solennellement la cour de l’Ambassade. J’étais assis avec un des secrétaires dans la première voiture, un landau fermé, précédé de deux kavass à cheval et ayant sur le siège le fameux Christos kavass chrétien du général Ignatieff. Trois ou quatre autres voitures suivaient, la dernière ouverte ; les jeunes gens qui s’y trouvaient avec la caisse aux chiffres n’avaient pas pu la faire entrer sous le manteau du landau ; ils voulaient en outre voir l’effet de notre exode. L’impression en était réellement grandiose et profonde. Les voitures s’avançaient au pas, des hommes et des femmes en larmes nous accompagnaient dans la cour. La rue était bondée de monde, la police avait peine à retenir la foule qui se pressait sur notre passage, et que les roues de la voitures risquaient d’écraser. Les zaptiês[1] et les sentinelles rendaient les honneurs militaires, le public ôtait les chapeaux, et c’est avec tous les honneurs, la dignité et l’éclat voulus que l’Ambassade de Russie sortait de son hôtel de la capitale ottomane, tandis que les aigles russes étaient descendues ou recouvertes de housses en signe de deuil.

Nous traversâmes au pas et au tout petit trot les rues de Péra et de Galata pour aller nous embarquer à Saly Bazar, où nous attendaient les embarcations de l’Eriklik. Partout une foule curieuse et agitée remplissait les rues et courait parfois derrière les voitures. Les portes et les fenêtres des maisons étaient garnies de monde ; dans les corps de garde, les soldats nous présentaient les armes ; notre cortège avait bien plus l’air d’une entrée triomphale que d’un départ pour cause de rupture.) Arrivé près du débarcadère, je dus traverser à pied une foule assez compacte qui y était massée. Tous se découvrirent ; je saluai de la parole les matelots et lorsque, au moment de mettre le pied dans le bateau, je fis, en ôtant mon chapeau, le signe de la croix selon la coutume russe, la majorité de cette

  1. Agens de police.