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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/339

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Abbeville, Ringois répond à l’ennemi : « Je suis Français, » et meurt plutôt que de prêter serment au roi d’Angleterre (1360). Les gens de La Rochelle avaient une année entière fermé les portes de leur ville aux commissaires anglais qui en venaient prendre possession après le triste traité de Brétigny, et, quand ils finirent par céder, ils dirent aux Anglais : « Nous vous ferons hommage du bout des lèvres, mais le cœur reniera les lèvres. »

En 1418, Rouen, abandonné par Charles VI et le duc de Bourgogne, se défend avec héroïsme contre Henri V, contre le fer et la famine ; Cinquante mille personnes meurent de faim en cinq mois. Enfin il fallut se rendre ; Alain Blanchard, capitaine des arbalétriers, qui avait été l’âme de la défense, refusa d’offrir rançon pour sa vie : « Je suis trop pauvre pour me racheter, dit-il en marchant au supplice ; mais quand j’aurais de quoi payer ma rançon, je ne voudrais pas racheter le roi d’Angleterre de son déshonneur. » Après le néfaste traité de Troyes (1420), les marins normands disent adieu à leur belle province, viennent se mettre aux ordres du Dauphin, et les mesures coercitives ne peuvent arrêter l’exode des bourgeois, des paysans qui émigraient « avec leur menu mesnage comme poz, paelle, vaisselle d’estain. »

Et n’est-ce pas aussi un pur témoignage du patriotisme des femmes françaises, la réponse de -Bertrand du Guesclin, fait prisonnier (1367) par le prince Noir, fixant lui-même le prix de sa rançon à cent mille doubles d’or. « Henri d’Espagne en paiera la moitié, et le roi de France, l’autre ; et si je ne pouvais avoir la somme de ces deux-ci, il n’y a fileuse en France, sachant filer, qui ne gagnât ma finance (ma rançon) à filer, pour me mettre hors de vos lacs. » Tant de souffrances endurées ensemble, champs en friche, maisons en ruine, populations entières passées au fil de l’épée, jacquerie, pillage des villes et des campagnes, exactions des seigneurs, des brigands féodaux, des Grandes Compagnie ? , guerres civiles, guerres étrangères, unissaient les cœurs plus que la gloire et la prospérité. Malgré tout, l’âme nationale se forgeait des métaux les plus précieux, la résignation, la persévérance, réparaient les désastres partiels, l’espoir renaissait au moment où tout semblait désespéré, quelques années de paix enfantaient leurs miracles coutumiers, les villes se reconstruisaient, les champs se couvraient bientôt de moissons, et déjà notre race prouvait que, si on la