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laissait faire, elle changerait les rochers en or. La France, qui ne le sait ? fut toujours le pays des surprises et des résurrections : avec elle, la hauteur des élans finit par dépasser la profondeur des chutes.

L’unité nationale ! La constitution d’une grande patrie ! Ce fut l’œuvre patiente de la royauté, de princes qui, certes, ne furent pas infaillibles, mais qui presque tous eurent la passion de l’Etat, l’art des bons marchés, la science des guerres utiles. Quel cri de désir lorsque, après la mort de Charles le Téméraire, Louis XI révèle à un confident son âpre volonté de se saisir de la Bourgogne : « Je n’ai autre paradis en mon imagination que celui-là. J’ay plus grand’faim de parler à vous pour y trouver remède, que je n’eus jamais à nul confesseur pour le salut de mon âme. » Et, dans sa correspondance, il parle des provinces qu’il convoite comme le paysan par le du champ voisin dont il veut agrandir sa terre, comme l’amant parle de sa maîtresse. Ses moyens sont tortueux, ses vengeances cruelles, mais il avait pour lui le droit de l’Etat, et ses ennemis, félons, parjures, n’étaient pas plus embarrassés de scrupules que lui ; les défauts de Louis XI, ceux de son époque en somme, ne pèsent guère à côté du magnifique patrimoine dont il enrichit la France. Non seulement il aima celle-ci, il aima encore les petits. Roi du peuple contre les grands feudataires, il porte la livrée, le chapeau plébéiens, va de maison en maison, dîner et souper chez l’un et chez l’autre, se fait inscrire « frère et compagnon de la grande confrairie aux Bourgeois de Paris, » parle privément à chacun, veut se rendre compte des plus minces détails, a toujours présent à la pensée cet axiome que beaucoup de grands joueurs perdent la partie parce qu’ils n’ont pas le respect des petites cartes. On peut affirmer en toute vérité que la politique de nos rois, de leurs collaborateurs, des gouvernemens qui leur ont succédé a été, depuis neuf cents ans et plus, une œuvre continue, permanente, ayant pour objet l’Etat, la patrie, la plus grande France.

La formation de celle-ci, sous l’égide de la royauté, eut pour premier effet de rendre plus rares les guerres, si fréquentes au temps de la féodalité pure et simple. « Avant Hugues Capet, remarque Taine, la royauté ne donnait pas au Roi une province, pas même Laon ; c’est lui qui ajoute au titre son domaine. Pendant huit cents ans, par mariage, conquête,