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LE SENS DE LA MORT (1) PREMIERE PARTIE I Avant que ces souvenirs ne s’effacent, je voudrais les écrire. Dans celle clinique de la rue Saint-Guillaume, transformée en ambulance avec la guerre, j’ai bien peu de temps : quarante lits, toujours occupés, et par quels blessés ! Nous sommes deux docteurs pour ce service. Quand je dis deux !... Le chirurgien actuel vient le matin pour ses opérations. Il repasse dans l’après- midi, donne un coup d’oeil, s’en va, et je demeure seul, avec un malheureux étudiant de seconde année, réformé comme car, diaque, si maladroit que je peux tout juste lui remettre le soin d’une injection intra-veineuse. Voici neuf mois que cela dure : août, septembre, octobre, novembre, décembre, janvier, février- mars, avril, neuf mois depuis que j’ai demandé à partir au front, dans un poste de secours, malgré ma boiterie. Je revois cette après-midi radieuse, — elles furent si nombreuses dans ce tragique été de 1914, quelle ironie ! — et mon arrivée chez mon pauvre maître, le professeur Michel Ortègue, qui s’était chargé de ma requête : — « Impossible, mon cher Marsal. On ne veut pas de vous. Mais j’ai tout arrangé autrement. Je fais militariser ma clinique. Vous avez été mon interne à Beaujon. Vous avez un peu trahi la chirurgie depuis. Elle vous pardonne. J’ai besoin d’un médecin sur qui compter. Je vous prends... Est-ce dit ? » Pour quiconque avait une fois travaillé dans son service, (1) Copyright bij Paul Bourget, 1915. TOME XXVIII. — 1915. 31