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498 REVUE DES DEUX MONDES.

Vous qui ne croyez qu’à l’expérience, ne fermez pas les yeux à cette expe’rience-ci, je vous le demande. Nous allons vaincre, parce que Dieu va être avec nous. »

Ortègue avait e’coute’ ce discours sans l’interrompre, en mordillant la pointe de sa moustache du coin de ses dents. Je lui connaissais ce tic dans ses minutes de nervosité, quand, par exemple, revoyant l’après-midi un opéré du matin, il lui trouvait une température inattendue. A cette profession de foi exaltée, il répondit d’un ton aussi tranchant que la lame d’un de ses outils de chirurgie :

— « Si nous sommes vainqueurs, mon ami, c’est tout bonnement que nous aurons eu de meilleurs canons, de meilleurs fusils, de meilleurs généraux et de meilleurs soldats. » Puis, sur un geste de l’autre, il esquissa un ricanement et coupa net la discussion en citant deux vers, appris sans doute dans ses années d’étudiant, car il ne perdait guère son temps à lire les poètes :

— M Quittons ce sujet-ci, dit Mardoche, je voi Que vous avez le crâne autrement fait que moi... » Et brusquement, tourné vers sa femme :

— « Catherine, il faut en finir tout de suite avec cette affaire de chloroforme. Marsal va te dicter une lettre qui la règle. Tu la taperas en double... Oui, mon cher Le Gallic, votre cousine vient d’apprendre à pianoter sur cet instrument commercial. «Il montrait une machine à écrire. « Elle fera fonction de secrétaire à la clinique pendant la guerre. Vous voyez que nous servons tous ici. chacun selon ses moyens. Et ce sera du service bien fait, je vous assure, et utile, quoique tout soit laïque, rue Saint-Guillaume, depuis le patron et la patronne jusqu’aux infirmières. .. Mais vous avez bien quelques instans à nous donner. Je vais vous montrer notre installation. Elle n’est pas mal. » Il entraînait l’officier, qui le suivit, et je l’entendis qui continuait, dans le corridor :

— « Regardez. Sur chaque porte, j’ai fait peindre des bouquets et baptisé chaque pièce d’après des fleurs : chambre des Œillets, chambre des Lilas, chambre des Roses... Ces jolis noms ne valent-ils pas celui d’un saint Laurent qui évoque l’idée- d’un gril, ou d’un saint Labre, qui n’évoque pas l’asepsie ?... »