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LE SENS DE LA MORT. 499

VIII

M"" Ortègue avait certainement e’prouve’ le même malaise que moi, durant cet entretien. Ces gouailleries de carabin ne ressemblaient pas à l’homme supe’rieur qui se les permettait, et envers qui I Si naïf que pût paraître Le Gallic dans son explosion de foi religieuse, il venait de se battre. Son courage à risquer sa vie garantissait trop la sincérité de ses convictions pour qu’il n’eût pas droit au respect. L’agacement mal dissimulé auquel avait cédé Ortègue ne provenait pas des déclarations mystiques de son interlocuteur. Un savant de ce type, arrivé à la négation totale et définitive, par l’amphithéâtre et parle laboratoire, ne se crispe pas plus contre un croyant qu’il ne ferait contre un enfant ou un maniaque. La seule présence de Le Gallic, et non ses discours, avait causé cette irritation. Pourquoi ? A cette demande, le trouble extraordinaire dont je voyais M™^ Ortègue possédée suggérait une réponse trop plausible. Tandis que je lui dictais la lettre au fournisseur incorrect, ses mains tremblaient. Les accrocs et les reprises dans le tapotage de la machine à écrire attestaient l’égarement de ses doigts, manquant les touches. Le jeune cousin, si beau, si intéressant, à côté du mari âgé, venait-il donc d’émouvoir un regret trop vif dans ce cœur de femme ? Je le pensai à cette minute. Mais, s’il en était ainsi, à coup sûr, elle ne voulait pas se l’avouer. Car je la sentis absolument vraie dans la question qu’elle me posa tout d’un coup, en retirant du rouleau de la machine la feuille imprimée :

— « Mon mari n’a pas été très gentil pour mon cousin. Vous avez trouvé, vous aussi, Marsal ? Ne dites pas non. J’ai lu votre étonnement sur votre figure. Pourlant, il l’aime beaucoup. Ce matin encore, il m’en parlait avec la plus grande affection. Seulement. .. » Elle hésita : « Il s’irrite maintenant pour la moindre chose, et c’est quelquefois hors de proportion. Cette erreur de facture, par exemple, ça n’est rien... » Elle hésita de nouveau. (( Il était d’un caractère si égal autrefois I II a changé, il change. Je l’ai bien observé. C’est tout physique. Moralement, intellectuellement, il reste le même... Alors j’ai peur pour sa santé. Vous qui êtes médecin et qui le connaissez depuis si longtemps, qu’en pensez-vous ? »