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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/505

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LE SENS DE LA MORT.


— (( Soit !.» fis-je, vaincu par la suggestion de son anxiété, « j’essaierai. »

— u Aujourd’hui, » dit-elle impérieusement. « C’est aujourd’hui qu’il faut lui parler. A quoi bon remettre, quand le retard est un danger ? Et puis, je leconnais, il est dans un de ces momens oîi il ne se possède pas tout à fait. II parlera peut-être... »

— « Soit, madame... J’essaierai aujourd’hui, quoique... » Elle m’arrêta d’un regard. Sa tête se pencha, pour écouter, dans la direction du corridor. Son extrême surexcitation lui faisait percevoir des bruits que je n’entendais pas encore. Elle lâcha mon bras, que sa main n’avait pas cessé d’étreindre, et, d’une voix très haute, volontairement rieuse, mais où je sentais frémir son cœur :

— « Je ne sais pas où j’avais la tête. Cette copie est pleine de fautes. Je la recommence, pour n’être pas trop grondée quand le Professeur reviendra. »

Elle avait glissé une feuille blanche dans la machine, et le tic lac des petites touches allait de nouveau son train, lorsque la porte s’ouvrit. Ortègue rentrait, accompagné deLe Gallic. Quoique la promptitude de M"’^ Ortègue à se dominer me prouvât une fois de plus le déconcertant pouvoir d’inhibition que les femmes ont à leur service, il ne me vint pas à l’esprit que celle-ci eût joué une comédie et mis sur le compte d’une inquiétude conjugale un trouble causé par un autre sentiment. D’ailleurs, l’apparition d’Orlègue justifiait trop les pires craintes. Sa chétive silhouette, juxtaposée à celle du jeune officier, si vigoureux, si svelte, semblait plus douloureuse encore, plus évidemment ftiarquce des stigmates de la fin prochaine. Son visage plus jaune, plus desséché que d’habitude, se contractait, comme si une crise de souffrance aiguë le suppliciait à cette seconde. Son corps émacié se penchait en avant, les mains crispées au creux de l’estomac. Le courageux personnage eut cependant l’énergie d’aborder sa femme avec un sourire :

— « L’étonnement de Le Gallic t’aurait amusée, ma chère amie, » commença-t-il. « Il n’avait jamais rêvé une installation comme celle-ci. Je lui ai dit qu’il t’en fit son compliment et non à moi. Tu as réellement transformé la clinique, depuis ces dix jours. Ce dortoir de soldats dans 1’ ; ncenne chapelle, voilà une idée merveilleuse. »

— « C’est vrai, Catherine, » insista l’ofLcier, u que le