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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/504

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500 REVUE DES DEUX MONDES.

— (( Il travaille beaucoup, » répondis-je, « peul-êlre trop. El puis, la gravité des événemens... »

— « Oui, » fit-elle, (( je me dis cola, et j’ai peur. Je vous répèle que j’ai peur. Peur qu’il no soit atteint, et profondément !

Je n’arrive pas à le faire manger. Il maigrit d’une 

manière effrayante. C’est depuis sa jaunisse. Il n’a pas l’air de s’en cire débarrassé. »

A mesure qu’elle m’interrogeait, ses yeux me fixaient, me scrutaient, me pénétraient, plus grands ouverts, plus étonnés, plus graves encore que d’habitude. J’y lisais maintenant l’ap. pélit et l’épouvante d’une vérité, insupportable également à ignorer et à connaître. Moi aussi, j’avais entrevu, comme une explication possible à ce changement trop évident d’Ortègue, une hypothèse terrible. Cette idée, aussitôt rejetée qu’entrevue, l’angoisse grandissante de cette femme me l’imposait de nouveau, et, pensant à voix haute, je m’entendis avec étonnement faire écho à son cri d’alarme :

— (( Il y a bien des momens, en effet, où il m’inquiète... »

— « Vous voyez ! » Et, me saisissant le bras d’un geste convulsif : « Qu’est-ce qu’il peut avoir ? Dites-moi tout. J’ai le courage de tout entendre. »

— « Je ne l’ai jamais ni questionné, ni ausculté, » répondis-je, effrayé à mon tour du bouleversement où l’avait mise mon inutile et imprudent aveu, trop pou justifié médicalement.

— (( Hé bien ! » reprit-elle, « quesLionnez-le, auscultez-le, et pas demain, aujourd’hui. Je vous ai toujours entendu dire à tous qu’un bon diagnostic, fait à temps, peut empêcher des catastrophes. .. »

— <( Ne prononcez pas des mots pareils, madame, » interrompis-je vivement, « ne les pensez pas... »

— « Il dépend de vous de me tranquilliser, » répliqua-t-elle. « Vous-même, n’éprouvez-vous pas le besoin de savoir ? Car vous l’aimez, mon mari. Vous l’avez montré à tant de reprises, que vous l’aimiez. A vous aussi, cette incertitude doit être intolérable. »

— (( Mais, » lui dis-je, « avec le caractère du professeur, vous devez vous rendre compte qu’une pareille inquisition... »

— (( Est très difficile ? «interrompit-elle. « Oui, je m’en rends compte. Je ne vous demande que d’essayer... »