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reflux augmentait la violence. Les pauvres bêtes s’esquintaient à gagner la mort. Enfin on eut entre Québec et la Pointe Levis un service à vapeur ; et le Lauzon fendit les flots. Mais son capitaine, Michel Lecourt dit Barras, eut besoin d’un long apprentissage pour arriver à mater cette chienne de machine anglaise « aussi fantasque que ceux qui l’avaient inventée. » L’accostage fut longtemps un problème délicat à résoudre et même périlleux. Souvent le capitaine criait trop tard à l’ingénieur Joseph : Stop her, Joe ! Et le fougueux navire rebondissait contre le débarcadère et s’y faisait d’énormes bosses. Souvent aussi, il le criait trop tôt, et le Lauzon, subitement arrêté, commençait à dériver loin du port : « Start her, Joe ! criait alors le capitaine ; Another stroke, Joe ! Encore un coup ! » Et les coups succédaient aux coups ; et les passagers étreignaient à deux mains la rampe du navire pour ne pas aborder avant lui par le chemin des airs. Le Lauzon avait révolutionné les habitudes des citoyens de Québec. Un immense désir de l’inconnu les avait saisis. Les plus pauvres économisaient le prix de la traversée. Le soir, ceux qui revenaient de la plage lointaine, qu’ils s’étaient contentés jusque-là de découvrir à l’œil nu, s’entretenaient des merveilles de ce nouveau continent.

Les divertissemens publics n’étaient pas très nombreux. Le premier cirque qu’on y vit, le cirque Ricket de Londres, n’y arriva qu’en 1797. On y faisait, comme disaient les enfans, de fameux tours de « soupletesse. » Mais le sieur Marseille et sa femme avaient installé un Théâtre de Marionnettes qui amusa et ravit des générations. Il s’ouvrait régulièrement à six heures de relevée, — l’heure où commençaient les bals, — le jour de la seconde fête de Noël, car on fêtait alors la Noël trois fois ; et il ne fermait que le mercredi des Cendres. On y donnait chaque soir deux ou trois représentations devant une salle comble. Les retardataires de la première fournée attendaient patiemment, sur la neige. Son Altesse Royale, le Duc de Kent ne dédaigna point d’entendre les célèbres bonimens du ménage Marseille. Ce fut un grand soir pour le petit théâtre ; et la mère Marseille se surpassa. Lorsque le jeu des marionnettes fut terminé, le rideau s’écarta de nouveau, et l’on aperçut la ville de Québec admirablement représentée en carton. Sur la haute citadelle flottait le drapeau britannique ; des troupes bordaient les remparts ; des canonniers à leurs pièces, mèche