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plus tard, — et, par exemple, en 1866, —l’opinion publique était plus puissante encore : qui ne l’eût alors comptée pour rien ?… Du moins fallait-il la contenir, au lieu de l’exciter dans sa folie ? Peut-être. En tout cas, l’opinion publique, nulle au temps des premiers Capétiens, je l’accorde, était au XVIIIe siècle et est surtout à notre époque l’un des élémens du problème. Bref, il ne suffit pas d’opposer aux toquades de l’opinion publique la compétence des diplomates et de leurs maîtres : il convient d’accorder l’opinion publique et la diplomatie la meilleure. Le principe des nationalités est mauvais, s’il aboutit à favoriser le développement de la puissance germanique et sa monstrueuse tyrannie. Je veux bien qu’un Armand Carrel soit insupportable, quand il jette le discrédit sur l’ « égoïsme » auquel la France a dû sa grandeur et l’Europe sa tranquillité. L’aberration d’Armand Carrel et de ses amis, et de Michelet qui accuse d’aberration la plus sage des politiques n’est pas douteuse. Il est impossible qu’on lise sans impatience le quinzième volume de l’Histoire de France où les idées les plus fausses sont éloquemment promulguées afin de taquiner la Pompadour, et qu’on lise sans impatience ces journaux de 1866, où traîne la vieille amitié prussienne de Voltaire et des philosophes. Mais enfin, — demeurons dans la réalité authentique des faits, comme nous y invite M. Jacques Bainville, — que faire aujourd’hui sans le principe des nationalités et à l’encontre ou au mépris de ce principe ? Il faut l’interpréter, ce principe ; du moins est-U l’un des élémens du problème. Et le problème se complique ainsi, de manière à ne plus être exactement celui que M. Jacques Bainville nous a présenté, si simple, si net.

Et l’on n’en finirait pas d’embrouiller de cette façon, j’en ai peur, ce que débrouille si bien l’Histoire de deux peuples.

Cependant, M. Jacques Bainville remarque, — non sans ironie, mais avec beaucoup de justesse, — le vif retournement de l’opinion publique. Les mêmes doctrinaires, qui s’attendrissaient sur le sort d’une Allemagne éternellement contrariée, sont acharnés maintenant contre le militarisme éhonté de cette Allemagne. Ils l’expulsent hors des bénéfices qu’un peuple tire du fameux principe des nationalités.

Les blâmez-vous ? Que non pas ! Il importe que la nation qui s’est juré de violer toutes nationalités n’ait rien à revendiquer de ce qu’elle s’acharne à méconnaître : au nom même des nationalités diverses, la nation allemande sera condamnée. Il valait mieux, reprend M. Jacques Bainville, prévenir les malheurs plutôt que d’y remédier si tard. — Nous ne savions pas… — On vous le disait ! réplique M. Jacques