à Saint-Cyr ou à Polytechnique. Ces femmes à l’accent tudesque dont nous nous moquions, et qui, jusqu’à leur mort, nous apparurent enveloppées de crêpes funèbres, étaient les veuves d’officiers ou de généraux tombés à Gravelotte ou à Saint-Privat. Et si quelque chose pouvait arracher nos paysans à la fascination de la terre, au culte égoïste de leur bien, c’était la haine de l’Allemand, — de leur voisin des Deux-Ponts ou du Palatinat, qui n’avait pour eux que du mépris et qui écrasait de ses sarcasmes leur patois lorrain comme un outrage à la belle langue allemande. Ainsi, dans cette Lorraine faite de pièces et de morceaux, une discipline, venue du dehors et librement consentie, produisait l’unité. Autrement, l’esprit local eût profondément divisé ces populations bilingues, que la géographie politique groupait un peu arbitrairement sous une même étiquette.
Presque en marge de cette bigarrure et de cette confusion lorraines, notre canton de la Meuse avait ses attaches naturelles, assez nettement distinctes de celles du Haut-Pays. Nous y subissions moins l’attraction de Metz, et le voisinage germanique ne s’y faisait pas du tout sentir. On y avait le parler sec et dur des Ardennes. Bien que l’accent local fût très marqué, le français y était beaucoup plus pur que dans certaines régions de l’Ouest ou du Midi de la France. En somme, c’est un vieux pays celtique et latin. Situé à l’extrémité de la Woëvre, le long des côtes de Romagne, il s’ouvre sur la Belgique, et sa pente est plutôt vers les vallées de la Chiers et de la Meuse que vers la vallée de la Moselle. Nous allions plus souvent à Virton ou à Arlon qu’à Metz ou à Verdun. C’étaient les vraies capitales de la région, bien plus que Montmédy, le chef-lieu de notre arrondissement, Damvillers ou Stenay, vieilles petites villes, qui avaient eu leur temps de splendeur sous la domination espagnole. Les produits belges, les tabacs, les chocolats de contrebande nous inondaient, et, chez nos paysans comme chez ceux de Wallonie, le coquemar était toujours sur le feu. En somme, il n’y a presque rien de commun entre cette région et celle du Barrois, à laquelle l’administration française l’a rattachée. Aussi, quelques mois avant la guerre actuelle, un notable du pays, frappé du peu d’affinité qu’il y a entre des territoires si bizarrement accouplés, proposait-il, dans une feuille locale, de détacher l’arrondissement de Briey et celui de Montmédy des départemens de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle, pour en