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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/800

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gothiques, et cette riche patine, cette belle teinte d’un gris bleuâtre répandue sur tout ce vaste amoncellement de pierres, et qui, de loin, semblait onduler et flotter comme la brume sur les sommets des montagnes, à la vue de tout cela, j’entrai réellement dans un monde inconnu : la beauté m’était révélée, mais une beauté toute locale, qui m’apparaissait d’abord comme un prodige réalisé par un grand effort contre la platitude ou la laideur ambiante. De là, je ne sais quoi de tendu et de démesuré. Et aussi, cette beauté, elle me semblait une plante étrangère, transportée à grands frais sur un sol ingrat, où elle se tenait mélancoliquement comme une exilée. Je m’expliquais ainsi sa physionomie sévère et un peu triste, cette teinte de deuil, qui l’enveloppait à la façon d’un crêpe. Même dans sa plus grande simplicité, cette beauté lorraine conservait, à mes yeux, quelque chose d’apprêté, et, pour tout dire d’endimanché, qui contrastait avec la rudesse d’alentour. Il m’a fallu le Midi pour me corriger de cette vision romantique. La cathédrale de Metz, qui fut pour moi la grande révélatrice, m’y a peut-être aidé elle-même. Car, en dépit des déformations monstrueuses que mon naïf émoi lui faisait subir, elle est un chef-d’œuvre de proportion, d’harmonie, vde sobriété et d’élégance toutes classiques et françaises.


Immédiatement après ces images, je ne retrouve plus que celles de la guerre.

Cette terrible guerre de 1870, nous n’en souffrîmes pas trop : les champs de bataille étaient relativement éloignés de nous. Si je me rappelle bien ce que j’ai entendu dire à mes parens, les vainqueurs ne se signalèrent, chez nous, par aucune atrocité. A peine, de loin en loin, une incorrection commise par quelque soldat ivre, et, presque toujours, sévèrement punie.

Il faut que les choses se soient passées bien en douceur, pour que je ne me souvienne d’aucun fait vraiment frappant et extraordinaire. Il ne me reste de cette époque qu’une sorte de papillotement cinématographique de silhouettes et de scènes confuses. D’abord, la trépidation qui s’empara du village, à l’approche des envahisseurs. On se hâta de mettre en sûreté tout ce qu’on avait de précieux et même d’enterrer, dans les caves, des caisses de vivres et des paniers de bouteilles. Les