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Je sors un instant en ville, bondée de troupes de toutes armes, françaises et anglaises, et me mets à la recherche d’une « Herberg, » où passer la journée au chaud ; celle où j’entre est tenue par un aimable Wallon, dont l’accent rend encore plus drôle ses protestations d’amitié à l’égard des « petits soldats, tu sayes ? » Avec quelques camarades, je m’assieds au fond d’une salle basse, très propre, où des soldats causent en buvant du café ; trois Anglais, sérieux comme des papes, préparent le thé et les indispensables rôties. Je lie conversation avec eux : ce sont des cavaliers du 1er Royal-Dragoon, en campagne depuis les premiers jours d’août ; ils ont été en Belgique, à Charleroi, à Saint-Quentin, à Compiègne, à Senlis, et sont. ensuite revenus vers le Nord avec le reste des troupes anglaises ; eux aussi combattent dans les « tranches, » comme de simples fantassins, ce qui ne leur sourit guère ; ils préféreraient la lutte contre les uhlans, des « cowardls » (couards), me disent-ils, « qui ne valent rien. » Nous échangeons café, cigarettes et thé, et causons ainsi pendant deux heures, comme de vieux amis, nous quittant sur le traditionnel « good luck. »

Dimanche 8. Nous avançons de quelques kilomètres sur la route d’Ypres, près d’un village où nous restons en réserve : journée tranquille ; le ciel est sillonné d’une quantité d’aéros alliés ou allemands. Un combat aérien se livre au-dessus de nos têtes : un Voisin tire, en plongeant avec sa mitrailleuse, sur un taube qui rejoint ses lignes au plus vite.

Sur la route, passent des Anglais de toutes armes ; leurs fantassins marchent au pas très allongé, à cadence lente, portant le fusil comme un bâton, d’un air nonchalant ; les officiers, jeunes et bien taillés, ont la cigarette aux lèvres et le stick à la main ; ils sont « positivement » en promenade. Les voitures de ravitaillement, lourdes et larges, sont traînées par un seul attelage de gros et forts chevaux aux longs poils, tandis que des hommes du train, perchés sur les voitures, ou les suivant en groupe, chantent d’une voix gutturale et affreusement fausse, au grand étonnement de notre trompette, qui ne conçoit évidemment pas que des gens aussi respectables se lâchent à ce point…

Vers le soir, nous rejoignons Wlamertingue. Il fait très sombre et, à notre arrivée en ville, nous distinguons à peine quels sont ces fantassins devant lesquels nous défilons. « Qui