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sont grands guerriers, sages citoyens, et chrétiens religieux. »

Tout aussi exalté, plus exalté encore est, à la fin du xve siècle et au début du xvie, le patriotisme des humanistes alsaciens, de ceux-là mêmes que les Allemands ont prétendu de nos jours revendiquer comme patriotes en se fondant sur leur résistance à l’absorption politique par la France. Écoutez la belle devise, en 1499 de l’un d’eux, Sébastien Brandt, l’auteur de la Nef des fous : Vigeat, floreat, crescat apud Argentinenses, sive Tribotes, pax, libertas et justicia.

De quel droit donc les Allemands ont-ils voulu confisquer le patriotisme alsacien à leur profit ? Chacun le sait, car toute la question alsacienne tourne autour de ce pivot : c’est au nom de la race, de la langue et de l’histoire.

La race ! Oh ! sur ce point on vient d’aboutir à d’étranges constatations. Il est entendu dorénavant outre-Rhin que la race élue est celle que révèlent au dehors la couleur blonde des cheveux, la couleur bleue des yeux, la forme allongée du crâne. Or que nous apprend la statistique officielle de l’administration allemande ? que le type dolichocéphale existe à peine, qu’il est tout au plus dans la proportion d’un quart contre trois quarts de brachycéphales, et que partout, et en Haute et en Basse-Alsace, les yeux bruns, les cheveux bruns ou noirs dominent. L’Alsacien ne peut donc être, au regard de l’Allemand, qu’un être inférieur tel que le Français, un de ces êtres qu’on extirpe ou qu’on réduit à l’état d’ilote.

Mais n’est-il pas un frère par la langue ? n’appartient-il pas à ce titre au Deutschtum ? Nous ne savons que trop l’abus qui a été fait de ce signe distinctif, même chez nous, et il faudrait une bonne fois le réduire à sa valeur. On verrait alors que, loin de justifier le rattachement de l’Alsace à l’Allemagne, rien ne prouve mieux que cette langue même son unité nationale distincte, je dirai plus, — si singulier que cela paraisse, — son affinité avec la France.

L’Alsace parla sa langue à elle, sa langue propre, une langue qui, au lieu d’être un patois né d’une dégénérescence de l’allemand, est un dialecte remontant au moins jusqu’à l’époque alémanique[1]. Elle a évolué régulièrement depuis cette époque

  1. Son antiquité se manifeste dans les rapports très particuliers qu’elle présente avec l’anglais et qui sont étrangers à l’allemand. On y trouve l’auxiliaire anglais to do et l’article indéfini a (é).