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été écrite : on a dû craindre que le public de 1915 ne lui fût pas plus favorable. La pièce, en dépit de scènes où se retrouve la maîtrise de l’auteur, est incontestablement une mauvaise pièce : il n’y avait aucune chance qu’elle se fût améliorée en vieillissant.

Pour apprécier l’influence que la guerre de 1870 a pu avoir sur le théâtre de Dumas fils, j’ai relu tout ce théâtre. C’est une lecture que je conseille, en ce moment où les livres nouveaux n’abondent pas, à tous ceux qui ont quelque liberté d’esprit et à ceux pareillement qui ont besoin de se défendre contre la hantise de l’idée fixe. Ah ! l’admirable théâtre ! Vous me direz que ce n’est pas une découverte. Erreur. Il n’est écrivain si fameux qu’il ne faille de temps en temps le découvrir. Critiques et auteurs dramatiques, depuis trente ans, ont été à l’égard de Dumas fils fort injustes et même assez dédaigneux. La vérité est qu’aucun autre, dans tout le XIXe siècle, n’a été plus vraiment doué pour le théâtre, ni Dumas père, quoi que son fils en ait dit, ni même, quoi qu’en dise tout le monde, Scribe et Sardou. Pour ceux-ci, dont il ne s’agit pas de diminuer le mérite et qui furent de prodigieux spécialistes, le théâtre était un mécanisme dont ils jouaient supérieurement, un art extérieur et formel. Chez Dumas, l’instinct dramatique est d’une tout autre essence. Il pénètre jusqu’au fond des choses. C’est une manière d’envisager la nature, la vie, le train du monde. L’histoire tout entière de l’humanité lui apparaît ce qu’elle est en effet : une lutte, partant un drame. Dans l’amour, qui est le tout du théâtre moderne, il voit la lutte du masculin et du féminin. La question sociale se ramène pour lui à la lutte de l’individu, — enfant naturel, fille séduite, femme trahie, — contre toutes les forces qui l’oppriment : famille, loi, opinion. De là le mouvement de ses pièces dont chacune nous lance en pleine bataille. A la faveur de cet emportement, tout passe, les théories les plus aventureuses comme les situations les moins vraisemblables, voire les plus scabreuses. On a reproché à Dumas fils l’emploi de moyens trop conventionnels ; mais le théâtre est le domaine de l’artifice et de la convention ; c’est la condition même de son existence, et on peut la méconnaître, mais non s’y soustraire. A l’aide de ces moyens factices, a-t-on dégagé un trait de vérité humaine ? tout est là. On n’imagine rien de plus artificiel que la Visite de nocesv qui est d’un bout à l’autre une gageure dialoguée, une comédie à la deuxième puissance, les personnages de la comédie nous étant donnés pour se jouer une comédie à eux-mêmes. Mais c’est là que se trouvent ces mots : « Je m’ennuyais, voilà comment ça a commencé. Il m’a