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à Dieu et à l’Histoire le soin de prononcer en dernier ressort. Au surplus, ce n’est pas là ce qui nous intéresse dans le manifeste impérial ; la nouveauté en est ailleurs ; elle est dans la manière dont l’Empereur envisage l’avenir et parle déjà de la paix. Son manifeste a comme une pointe de mélancolie. « Les grandes épreuves, dit-il, donnent à la nation la fermeté du cœur. En agissant héroïquement, souffrons et travaillons sans fléchir jusqu’à ce que la paix arrive, une paix qui nous offre les garanties militaires, politiques et économiques nécessaires à notre avenir, une paix qui remplisse les conditions requises pour le développement de notre énergie productrice chez nous et sur la mer libre. De cette façon, nous sortirons honorablement de cette guerre pour le droit et la liberté de l’Allemagne, si longtemps qu’elle puisse durer. » Sortir honorablement de la guerre : est-ce donc à cela que l’Allemagne borne aujourd’hui son ambition ? Elle était plus grande autrefois. Encore faudrait-il savoir ce que l’Empereur entend par le mot honorable qui, avec du plus et du moins, peut prêter à des sens très différens. Les précisions nous manquent. Mais évidemment, Guillaume II éprouve le besoin de faire miroiter aux yeux de son peuple le mirage d’une paix prochaine.

Il est vrai que, parlant de la guerre, il dit dans son manifeste qu’il faut la soutenir, « si longtemps qu’elle puisse durer ; » mais, en même temps et comme pour corriger le mot, il a adressé à sa sœur, la reine de Grèce, un télégramme qui, malgré le trait familier de la fin, était certainement destiné à la large publicité qu’on lui a donnée. Le début rappelle le héros des légendes wagnériennes : « Mon épée destructrice s’est abattue sur les Russes. Ils auront besoin de six mois pour se reformer. Dans peu de temps je t’annoncerai de nouvelles victoires de mes braves, qui se sont montrés invincibles dans leur lutte contre le monde presque entier. Le drame de la guerre touche à sa fin. Salutations à Tino (le roi Constantin). » Non certes, la guerre n’est pas près de finir, et c’est ici que l’Empereur se trompe, ou qu’il trompe son peuple. Il ne faudra pas six mois à la Russie pour se reformer, mais s’il les lui fallait, eh bien ! nous attendrions. La guerre n’est pas près de son terme, parce que sa prolongation nous est favorable et qu’elle est défavorable à l’Allemagne : ce serait duperie de notre part de laisser échapper nos meilleures chances au moment où elles seraient sur le point de se réaliser. La paix aujourd’hui, c’est-à-dire avant que la guerre ait produit toutes ses conséquences, ne serait qu’une trêve, il faudrait bientôt tout recommencer. C’est par amour de la paix que nous n’en