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leur foisonnement printanier, ne sont pour moi qu’un vain amas de beautés vulgaires : elles n’ont pas d’odeur. Dans tous les bazars d’Orient, j’ai vainement cherché des essences de roses, dont le bouquet rappelât, même de loin, l’arôme suave des nôtres.

Au temps des roses, à Spincourt, lorsque je longeais la maison de la repasseuse, j’apercevais toujours, par la fenêtre ouverte, devant la belle fille aux joues fraîches et encore avivées par le feu des fers, une rose-mousse qui trempait dans un verre à pied plein d’eau, sur le bord de la planche à repasser, près du pot d’amidon.

Toujours ce besoin contrarié d’orner un peu la nudité des choses autour de nous, de tirer du moindre brin d’herbe une petite poésie à notre usage ! Pour moi, chaque printemps, les lilas de notre jardin me jetaient dans des extases. J’ai passé des heures de contemplation devant les groseilliers. Avec leurs minuscules grappes rouges ou ambrées, ils m’apparaissaient, dans le grand soleil des après-midi d’été, comme des lustres chargés de rubis et de perles blondes. C’était trop beau pour ne pas y goûter. Je picorais avidement ces friandes merveilles, tout en caressant, d’un œil enchanté et contrit, l’arbrisseau que je dépouillais. Ces groseilles, à la saveur acide et aux couleurs crues, c’est le fruit symbolique de notre Lorraine.

Il y avait aussi, le long d’un mur humide, velouté d’une mousse épaisse, des framboisiers, dont le seul parfum me faisait défaillir de convoitise. Et il y avait, enfin, tout au fond de notre jardin, un arbre d’or, — un cytise géant, — aux branches échevelées qui recouvrait presque un lavoir creusé en contre-bas et revêtu de hauts murs en pierres sèches. C’était comme une fosse de verdure et de fraîcheur, où s’éparpillaient les fleurs jaunes du grand arbre, où luisait mystérieusement l’eau morte du lavoir. A genoux dans la paille du baquet, au bord de la planche glissante, je me penchais sur les profondeurs ténébreuses du bassin, et, à travers les mousses verdâtres, qui flottaient à la surface, je voyais se réfléchir, dans un lointain hallucinant, les grappes d’or du cytise, comme un fourmillement d’étoiles dans un ciel nocturne.

Tout le long de la margelle, des prunes, tombées de l’arbre et encore luisantes de gommes, se fendillaient, et cela me rappelait soudain l’heure du goûter. C’était l’époque triomphale