Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colossal hérissait ses plumes à notre approche, secouait son jabot sanglant, en nous dardant un regard furibond sous les écailles rouges de sa crête, et, avec un bruit d’explosion, il déployait ses ailes.

Dans le silence des après-midi d’été et la solitude du cimetière, ce petit incident prenait, pour nous, une importance énorme. Les nerfs secoués désagréablement, nous nous sauvions sur le parvis de l’église ; mais, là, le cœur battant, nous percevions un bruit étrange : le râle continu de l’horloge dans la tour. Des ressorts se déclenchaient brusquement comme des muscles qui se détendent ; et c’était là-haut, dans les profondeurs du noir escalier, où, pour rien au monde, nous n’eussions voulu monter, un bruit de respiration haletante, — la respiration d’un monstre mystérieux et redoutable, accroupi dans les ténèbres du clocher.


Je serais un ingrat, si, après l’église et le cimetière, je ne dédiais une pensée pieuse aux jardins de mon village, pour toutes les joies qu’ils m’ont données.

Ces fleurs, que nous cherchions si avidement autour de l’église, il y en avait bien quelques-unes, même dans nos. « mails » les plus misérables, en bordure des carrés de salades, des planches de fèves ou de petits pois. Il y avait aussi les violettes et les « coucous » des prés, — les coucous jaunes, au cœur rouge ou amarante, dont nous faisions des pelotes, que l’on se lançait en guise de balles. Jouer à la balle se disait, chez nous, « jouer à la pelote. » On jouait à la pelote avec les coucous des prés. Mais rien ne valait, à mes yeux, les rares fleurs de nos jardins. Pauvres fleurs ménagères de l’espèce la plus commune ! C’étaient des flox, des fuchsias, des bégonias, des gueules-de-lion, bonnes pour faire des tisanes, et surtout des pivoines et des œillets d’Inde, — les pivoines et les œillets d’Inde de nos Fête-Dieu.

Une rose était une apparition royale et magnifique. Je me souviens particulièrement de nos roses rouges et de nos roses-mousses, aux calices si largement épanouis. Dilatées, chauffées tout le jour par le soleil de juin, quel parfum pénétrant et fort elles exhalaient ! A côté de nos roses de Lorraine, si précieuses, si aristocratiques, celles de Provence et d’Afrique, dans