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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/133

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sincérité, si l’on veut se rappeler qu’il venait d’entrer dans sa quatre-vingt-dixième année. Après l’avoir longtemps épargné, la vieillesse maintenant pesait lourdement sur lui. Les coups qu’elle lui portait étaient visibles dans toute sa personne, et jusque dans ses paroles qui trahissaient parfois l’affaiblissement de ses facultés. Un diplomate écrivait, après avoir causé avec lui : « Au cours de notre conversation, il a été debout à plusieurs reprisses, et j’ai pu constater qu’il faisait effort pour ne pas vaciller. » Il est aisé de comprendre qu’en un tel état, il eût conçu pour la guerre une vraie répugnance. Lorsqu’il le laissait entendre, il était aussi sincère que rassurant. On ne pouvait lui demander davantage, et le gouvernement français n’avait qu’à se féliciter de trouver dans ce vieillard un partisan résolu de la paix.

Mais, justement parce que l’Empereur courbé par l’âge laissait voir de plus en plus des marques de sénilité, il y avait lieu de se demander s’il serait longtemps encore en état de résister aux excitations belliqueuses du parti militaire qui appelait de ses vœux une prise d’armes contre la France et se plaisait à dire qu’il fallait isoler la République, l’empêcher de poursuivre ses armemens et la mettre ainsi dans l’impossibilité de se défendre quand on jugerait que l’heure était opportune pour essayer de l’écraser. Assurément, ce parti qui n’était pas encore devenu le maitre de l’Allemagne eût été alors impuissant à forcer la volonté de l’Empereur. Mais en serait-il toujours ainsi ? On se le demandait anxieusement à Paris comme à Berlin, aussi bien que dans toutes les capitales, car partout régnait la crainte que, si la guerre éclatait entre les deux pays, elle ne restât pas localisée comme celle de 1870, et que d’autres Puissances ne fussent amenées à y prendre part, ce qui déterminerait une conflagration générale.

On reconnaissait en même temps que la solution de questions si graves dépendait uniquement du prince de Bismarck. S’il jugeait la guerre contraire à l’intérêt de l’Allemagne, il résisterait victorieusement à tous les efforts du parti militaire. Mais s’il la considérait comme une nécessité, il saurait y contraindre l’Empereur. On constatait cependant que si, en 1875, il l’avait voulue ou avait feint de la vouloir, ses dispositions s’étaient modifiées depuis. On en trouvait la preuve dans les attentions qu’au Congrès de Berlin il avait prodiguées aux représentans de la France, MM. Waddington et le comte de