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V

Ce régime est non seulement exceptionnel mais unique. On essayerait en vain de définir et de classer juridiquement cette sorte de co-souveraineté[1] indivise, exercée par l’entremise d’un mandataire commun au profit de deux pays, dont l’un ne jouit pas lui-même de la souveraineté, puisqu’il est seulement une province autonome et non un Etat.

L’indivision est d’ordinaire une source abondante de difficultés, de brouilles, de conflits. L’observation est vraie en droit international aussi bien qu’en droit privé. C’est ce que démontrent, pour ne parler que des temps modernes, toutes les tentatives de gouvernement en commun qui furent faites jusqu’ici comme dans le Sleswig-Holstein par la Prusse et l’Autriche, aux îles Samoa par l’Angleterre, l’Allemagne, les Etats-Unis, et dont on peut rapprocher le contrôle anglo-français qui fonctionna en Égypte de 1877 à 1883, sous le nom inexact de condominium.

Rien de pareil n’est à craindre au Soudan. Il ne peut y avoir désaccord, lorsqu’une des volontés prédomine. Tel était le cas, dans ce pays comme en Égypte avant la proclamation, en décembre 1914, du protectorat. L’agent britannique y exerçait déjà une influence irrésistible. Cette mesure a simplement consacré une situation de fait en la régularisant et en la rendant définitive.

Le gouverneur général du Soudan, qui exerce dans sa plénitude le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, est naturellement un Anglais. Il en est de même de tous les fonctionnaires de quelque importance et de plusieurs autres encore ; les chefs de services, les gouverneurs des provinces, les juges, les inspecteurs, les ingénieurs, etc. L’Égypte n’est intervenue jusqu’ici que pour fournir des candidats aux postes subalternes et verser non seulement les avances grâce auxquelles les travaux publics ont été exécutés, mais encore les subventions annuelles qui ont couvert le déficit des douze premiers budgets. Dans l’association qu’elle a formée avec l’Égypte au Soudan, l’Angleterre joue donc

  1. Ce travail a été fait avec talent dans la Revue de droit international public, de 1903 ; — Blanchard, Le problème de la souveraineté au Soudan nilotique, p. 169 et suiv.