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avions allemands voguaient dans l’espace. Et puis, des nuages s’amassèrent, voilèrent le ciel, crevèrent en torrens. Tapis sous leurs capotes et transis, les soldats ne bougeaient plus, immuables comme le bruissement sempiternel de la pluie. Les eaux s’épuisèrent et le soleil darda quelques rayons. Les oiseaux, à l’envi jasèrent. Les parfums des foins et des forêts embaumèrent les vents… » Ni Raffet, ni Alphonse de Neuville ou Edouard Détaille n’ont peint de cette manière les soldats, les bivouacs et le paysage des batailles ; ceci est plus rare : un tableautin militaire, par Corot.

De Lorraine, les hussards sont envoyés en Belgique. Les affaires n’allaient pas bien ; les barbares avançaient. Un vieil échevin, militaire émérite et qui avait travaillé au Congo, donnait de mauvaises nouvelles : deux millions d’Allemands n’étaient pas loin, leur masse écraserait tous les obstacles et autant valait jeter des pierres sous un rouleau… « Mais, rebutant ce prophète de malheur, nous n’inventions que motifs d’espérer. » Quelle spontanéité de confiance ! Or, cette vive aptitude à éluder les motifs de chagrin, c’est elle aussi qui permet à l’auteur d’Étapes et batailles de peindre si joliment la guerre et ses horreurs. Il ne dissimule pas les horreurs ; et il n’a point affadi la peinture. Mais sa vision n’est pas sombre : il voit en clair ; les ombres même, il les colore.

Pourtant, voici les jours de la retraite : « Bah ! ce n’est pas pour longtemps ; une simple anicroche… » Les régimens descendent vers le Sud-Ouest. Les hussards passent la Semoy sans encombre. L’ennui, c’est pour eux de traverser les villages où les bonnes gens leur demandent avec angoisse : « Êtes-vous vaincus ? » Mais eux de hausser les épaules et de rencontrer ou d’inventer, à chaque étape, un regain d’espoir. Une fois, c’est un bataillon de turcos superbes qu’on a croisé sur le chemin ; ces gaillards rient sur le bel ivoire des dents, caressent leurs baïonnettes et annoncent : « Li, bientôt, tout rouge, sang boche, cochon ! » Et les hussards : « Un tel renfort changera les événemens ! » Une autre fois, c’est une halte chez des paysans qui vous font rôtir un poulet, qui vous débouchent un sauterne valeureux, qui vous mettent en liesse. Et, à chaque instant, c’est le général qui, avec son officier d’ordonnance, part et s’avance bien au-delà des avant-postes, pourquoi ? pour que tout le monde voie qu’il n’y a pas de danger. Principalement, ce qui fait rebondir ces garçons, c’est leur jeunesse élastique. Dernier réconfort des cavaliers, la charge longtemps promise, accordée enfin. Certes, on a cherché la bonne occasion, depuis des semaines ; mais, quoi ! les uhlans se refusent.