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Alors, faute d’une occasion très bonne, on saisit celle qu’on trouve. « Émoi suprême, de bondir, chasser le sol, s’unir au vent ! Les hussards, sabres tendus, volent. Les mitrailleuses se pointent contre eux : trop tard. Déjà un escadron a franchi la zone du danger. Mais, abrupt, un talus casse l’élan. Les chevaux tentent en vain de grimper la côte, quelques secondes d’hésitation gaspillent le bénéfice de la promptitude… » Aussitôt les obusiers, avertis, accablent ce coin de bataille. Les cavaliers se replient, pressant leurs bêtes ; ils ont laissé sur le terrain la moitié de leur effectif et les deux capitaines. Découragés, ceux qui reviennent ? « Une telle hécatombe n’était pas inutile : l’infanterie, grâce à cette diversion, a dégagé son aile qui ne sera plus débordée. » Puis le commandant du corps d’armée les interpelle et leur déclare qu’ils ont honoré la cavalerie française.

Ils sont ainsi amenés jusqu’au samedi mémorable, 5 septembre, où une fanfare leur sonne aux oreilles : l’appel du généralissime à ses armées ; l’ordre d’avancer. Il ne s’agit plus que d’avancer : joie immense. Victoire de la Marne, et la poursuite, et les premières batailles de l’Aisne ; ensuite, la course à la mer, la remontée, en obliquant vers l’Ouest, par-delà Calais et Dunkerque, en attrapant un coin de Belgique, jusqu’à Nieuport et plus haut. Après cela, le mur vivant de nos armées barre toute la route à l’invasion. Mais l’automne arrive, l’automne aux deux visages : « tantôt pluvieuse et morne, lorsqu’elle regarde vers le sombre avenir ; tantôt, si elle se remémore le passé radieux, douce, mélancolique et somptueuse, sous sa robe de rouille, de pourpre et d’or… » Vers le 15 novembre, la bataille parut s’épuiser. Il sembla qu’on devait, pour en finir, attendre le printemps. On prépara les longues patiences de l’hiver. Nos troupes, après quatre jours de tranchées, avaient tour à tour le soin de se bâtir, à quelque distance du front, des campemens, des baraques de bois ou de chaume… « Parfois, le soleil dissipait les nuages et dorait les arbres nus ; mais bientôt il se renfrognait derrière les averses et le brouillard… Il y eut aussi de la neige. Pendant une semaine, le sol gelé craquait. Les arbres, les buissons se découpaient sur l’étendue blanche, que les contours trop précis faisaient pareille à un jouet puéril. Les étangs se vêtaient de glace que les soldats cassaient pour dénicher dans les pierres les anguilles… » Les hussards sont à Ypres. La population de la pauvre belle ville ne s’est pas sauvée : « Elle couchait dans les caves et, si le bombardement diminuait d’intensité, passait les journées à la surface de la terre. Dans les cabarets, les vieux fumaient les pipes, tandis que les filles raccommodaient les