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et l’intervention de l’opinion publique, en telle matière, aboutit à de fâcheux résultats. On répliquera que l’ancien régime, tout seul et sans l’opinion publique, s’est trompé quelquefois. Principalement, on remarquera que l’ancien régime, impeccable ou non, n’a point supprimé l’opinion publique : il l’a si peu supprimée qu’il a succombé aux coups de cette puissance nouvelle, où qui se manifestait nouvellement, et qui désormais prendra une extension redoutable. Toujours est-il que l’opinion publique a, elle aussi, elle autant que le ministère Ollivier, sa responsabilité dans les préludes de la détestable guerre. L’injustice, et messéante, consiste à ne s’en prendre qu’à Emile Ollivier, Benedetti ou Gramont. L’injustice consisterait surtout à oublier que la guerre est l’œuvre tortueuse et acharnée de Bismarck.

Seulement, il est vrai que le rôle du ministère était de maîtriser l’opinion publique : il eût gouverné, au sens précis du mot, s’il avait eu soin d’être assez fort pour que l’opinion publique ne lui fût pas menaçante et pour qu’il pût traiter les affaires du pays sans l’agrément furtif de l’opinion publique et, au besoin, contre elle. Or, Emile Ollivier, libéral et, je le disais, républicain, se fiait à l’opinion publique et ne se croyait pas en droit de la malmener. Quand il appartenait à l’opposition, ne proclamait-il pas la nécessité d’ôter à « la volonté solitaire et omnipotente de l’Empereur » la conduite de la diplomatie ? Et l’un des vœux de son Empire libéral, ce fut d’assurer « au pays, » plus de contrôle sur la politique étrangère. Tout s’enchaîne : et Gramont, qui houspille Benedetti, cède à la considération parlementaire ; il est fidèle aux principes de l’Empire libéral.

Et puis, pour maîtriser l’opinion publique, il aurait fallu opposer à ses velléités étourdies une volonté fixe. Ne dénigrons pas la diplomatie du second Empire : « Elle a été beaucoup plus attentive, beaucoup plus avisée et beaucoup plus clairvoyante qu’on ne le croit à l’ordinaire… » Qui lui rend cet hommage ? La Commission chargée en 1907 de publier les documens relatifs à l’histoire politique et diplomatique de la guerre, et composée de MM. Joseph Reinach, Auiard, Emile Bourgeois. Mais lisons le récit d’Emile Ollivier : nous sommes frappés de voir que, quant à la guerre, il n’y avait point, dans le gouvernement, de volonté fixe. L’Empereur était indécis ; Gramont, suivant qu’il venait de causer avec tel ou tel, changeait, — non de préférence, — d’indécision. Personne n’a voulu la guerre : et