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un sommeil léthargique de l’énergie nationale ; sans remonter jusqu’aux siècles du haut Moyen Age où pourtant il semblait bien que, déjà, il en avait été ainsi, on repérait depuis quatre siècles et demi cette concomitance.

Après les deux cents ans du Grand Interrègne et l’effroyable ruine qu’il avait value aux peuples allemands (1250-1440), les efforts des premiers Habsbourg avaient, durant près d’un siècle (1440-1520), relevé tout à la fois la puissance impériale et la richesse publique : sur le modèle des sciences, des industries et des entreprises italiennes, l’Allemagne de la Renaissance était devenue dans l’Europe d’alors ce que nous avons vu l’Allemagne du Hohenzollern redevenir dans notre Europe de 1900, sur le modèle des sciences, des industries et des mœurs anglaises et américaines. Même cause ; mêmes effets : les moralistes de 1520 avaient tenu le langage que, mot pour mot, reprenaient les pessimistes de 1910, touchant le formidable appétit de bien-être, d’argent, de jouissances, de mangeaille et de luxe, qui travaillait et corrompait la vertueuse Germanie.

Le Traité sur le Négoce et l’Usure de Luther est de 1524 : « Les princes et seigneurs, s’ils veulent s’acquitter en conscience de leurs devoirs, doivent supprimer et punir les monopoles ; les compagnies de trafic sont des gouffres de rapacité et d’impostures ; tout l’argent du pays aboutit à leur réservoir ; comment serait-il légitime, selon la justice et selon Dieu, qu’un homme en si peu de temps pût devenir si riche ?… Ils se sont arranges pour que tout le monde, excepté eux, soit exposé à la ruine. Les rois et les princes devraient mettre fin à de tels abus ; mais on prétend qu’au contraire, ils s’y mêlent, en profitent et qu’on peut dire à l’Allemagne ce qu’Isaïe disait à son peuple : Tes princes sont devenus les compagnons des voleurs[1]. » Ainsi parlait Luther trois cent quatre-vingt-dix ans avant que le prince Egon de Furstemberg, le plus intime ami de Guillaume II, se mêlât de devenir brasseur, hôtelier, entrepreneur de bâtisse, pour aboutir à la faillite que l’on sait et à la disgrâce impériale qui en fut la suite : tant il est vrai qu’en Allemagne, empereur et richesse arrivent ensemble et s’en retournent de même.

Ah ! gémissaient les reconstructeurs d’histoire en chambre,

  1. J. Janssen, L’Allemagne et la Réforme, II, p. 446.