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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/451

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plus grande vogue, son village, lui resta cher, et il ne cessa d’en aimer la douceur tourangelle. Entre les classiques, c’était au plus classique de tous qu’allaient ses préférences. Il avait écrit une thèse sur Corneille, et même une thèse latine ; mais c’est Racine qu’il relisait. Il avait du goût pour Marivaux ; mais pour Musset il allait jusqu’à l’adoration. Parmi les pages les plus exquises qu’il ait écrites, je mettrais, à côté de sa fameuse méditation sur ce vallon de Port-Royal où rêva l’enfance de Racine, sa Préface pour une édition des Comédies et Proverbes. Est-il besoin de dire le mépris que lui inspiraient les vaines combinaisons du pauvre Scribe et l’horreur qu’il éprouvait pour le mensonge du drame romantique ? Chaque fois qu’il rencontre sur son chemin Emile Augier, il le salue pour son vigoureux bon sens et sa saine raison bourgeoise, avec une admiration où perce un brin d’ironie ; mais il revient sans cesse à Dumas fils, dont les idées littéraires aussi bien que morales l’attirent et l’inquiètent, et dont, en s’en défendant, il subit la maîtrise. Au théâtre de Becque il reproche le convenu d’une amertume continue et sans nuances. Toutes ses complaisances vont à ce mélange unique d’observation, de fantaisie, d’esprit, d’ironie désabusée et indulgente qui est proprement la marque Meilhac et Halévy. Un mot encore. Dans les analyses qu’il faisait des pièces de théâtre, — et qui si souvent étaient plus intéressantes que les pièces elles-mêmes, — Jules Lemaître se plaçait aussi peu qu’il était possible au point de vue du métier. Que cela fût « du théâtre » ou non, cela lui était bien égal, pourvu qu’il y aperçût quelque rapport avec la vie. Il ne s’intéressait pas du tout aux mêmes choses que son bon maître Francisque Sarcey. Ce fut l’originalité de sa critique et cela en fit le prix. On n’y sentait ni le technicien, ni le spécialiste, mais l’honnête homme qui devant les spectacles de la scène songe à ceux de la réalité, se souvient, s’interroge et soumet les inventions de l’auteur au contrôle de son expérience. Une pièce très bien faite le laissait indifférent et même assez dédaigneux : il ne se sentait pas d’aise devant un ouvrage dramatique, même imparfait, qui avait attrapé un peu de la ressemblance humaine et posé quelque ingénieux cas de conscience. Car avant tout, et à la manière française, il était un moraliste.

On commence toujours par imiter. Dans le feuilleton où Lemaître critique présenta à ses lecteurs habituels la première pièce de Lemaître auteur dramatique, il leur confia qu’il était d’abord allé porter son manuscrit à Dumas fils et à Ludovic Halévy. C’était reconnaître une dette, car Révoltée devait beaucoup au théâtre de l’un