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et de l’autre. Curieux de psychologie et soucieux de modernité, comme il l’était, Jules Lemaître avait été tenté de mettre à la scène, pour ses débuts, la dernière incarnation du sphinx féminin. Hélène Rousseau est une sorte de Froufrou transportée dans un autre milieu. Mais on ne fait pas une pièce de théâtre avec un portrait de femme, une comédie avec une étude de psychologie. Il faut un cadre à ce portrait, une intrigue autour de cette étude. L’auteur a donc imaginé que son héroïne est une enfant naturelle ; au cours de la pièce il lui fait retrouver sa mère, son frère et toute sa famille. Même cette cascade de reconnaissances lui avait suggéré une scène sur laquelle il comptait beaucoup. Quand Hélène Rousseau découvre que Mme de Voves est sa mère, elle s’abstient de se jeter dans les bras de cette mère, retrouvée au bout de vingt ans, et de la couvrir de baisers entrecoupés de sanglots. Cette révélation la laisse froide. « Ainsi, vous êtes ma mère… C’était ma mère, cette dame qui m’appelait au parloir deux fois par an, une demi-heure chaque fois et qui ne s’est jamais trahie… » C’est tout ce qu’elle trouve à dire, et il est vrai qu’il n’y avait rien à dire qui fût d’une justesse plus tranchante et d’une logique plus impitoyable. Mais c’était la première fois que la voix du sang parlait un langage si dénué de lyrisme. La scène ne fit aucun effet. Ce n’est pas qu’elle fût manquée, mais c’est que certaines conventions sont de l’essence même du théâtre : on perd son temps à vouloir les supprimer, et d’ailleurs elles ne font de mal à personne.

Que la révoltée de la comédie moderne descende en ligne directe de la femme incomprise du drame romantique, cela n’est pas contestable, mais d’ailleurs n’enlève rien à la vérité du type. Ce qui caractérise l’âme moderne, c’est son inquiétude, c’est une sensibilité maladive et qui n’arrive pas à se satisfaire. Hélène Rousseau est jolie, intelligente, spirituelle, séduisante. Combien en est-il qui l’envieraient ? Elle est orpheline, c’est vrai ; mais les religieuses de son couvent ne lui en témoignent que plus de sollicitude, et c’est par-là qu’elle intéresse d’abord le brave homme qui va s’éprendre d’elle et l’épouser. Ce Pierre Rousseau est un naïf. Il s’imagine que, lui devant tout, sa femme l’aimera uniquement. Or elle lui en veut de tout le reste, et de cela aussi. Elle lui en veut d’une santé morale qui l’irrite, et d’une supériorité intellectuelle qu’elle devine sans pouvoir vraiment l’apprécier. Accueillie dans un monde élégant, elle s’y sent humiliée, — quand elle devrait en être attendrie, — par le pauvre luxe dont l’entoure, à grand renfort de classes et de répétitions, son professeur de mari. L’Elsbeth de Musset, élevée par une gouvernante romanesque,