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leur viennent de ce qu’ils n’ont pas cessé de regarder comme leur vraie patrie. On a remarqué souvent la force d’assimilation qu’a l’Amérique sur les étrangers qu’elle hospitalise et dont elle fait bientôt des Américains ; cette force d’absorption s’arrête aux Allemands ; ils restent Allemands et continuent de chanter en eux-mêmes : « L’Allemagne au-dessus de tout ! »

Avant la guerre, il y en avait partout ; ils s’insinuaient, on les accueillait. Si leur gouvernement avait laissé la paix durer quelques années de plus, ils auraient dominé le monde par des moyens beaucoup plus sûrs que ceux auxquels l’empereur Guillaume a eu finalement l’imprudence de recourir. Les questions que soulève leur présence en si grand nombre en Amérique sont délicates et la discrétion nous empêche de les traiter ici. Tout ce que nous en dirons est que, depuis un an, les Américains se sont aperçus qu’ils ne connaissaient pas très bien les Allemands et ont appris à les mieux connaître. Quelle que soit sa patience, on sent une irritation grandissante dans les froides notes de M. Wilson et cette irritation est encore plus grande dans un pays qui a l’esprit prompt et l’âme chaude. Certes, l’Amérique est pacifique, elle l’est profondément et la guerre qui se déchaîne aujourd’hui sur l’ancien monde n’est pas de nature à modifier chez elle un sentiment aussi légitime ; il semble toutefois qu’elle commence à se lasser d’être prise pour théâtre d’incidens qui se renouvellent sans cesse, sans ménagemens pour ses intérêts, non plus trop souvent que pour sa dignité. Puissance neutre, elle entend jouir de tous les droits de la neutralité ; puissance souveraine, ce n’est pas de sa part une exigence excessive de vouloir être maîtresse chez elle et de n’y tolérer aucune intrusion qui porte atteinte à sa souveraineté.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, FRANCIS CHARMES.