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Seul l’Indépendant Labour party s’obstinait dans son pacifisme.

Jamais en Russie l’opinion n’avait semblé aussi unanime qu’au moment de la mobilisation. Les révolutionnaires réputés les plus irréconciliables ennemis du tsarisme devenaient les fervens apôtres de la défense nationale, à la stupéfaction des Allemands. Dans une lettre ouverte au peuple suédois, publiée par un journal de Moscou, le célèbre anarchiste et homme de science Pierre Kropotkine se révèle le plus déterminé des patriotes russes. Quelles que soient ses idées pacifistes et internationalistes, il irait, écrivait-il, n’était son grand âge, se battre au front russe ou français, défendre la cause de la civilisation anglo-latine contre l’Attila moderne qui lance sa soldatesque sur l’Europe. Depuis longtemps, il prévoyait cette guerre : à son dernier séjour en France, il conseillait à ses amis d’abandonner la résistance contre le service de trois ans. Il rappelait l’exemple de Bakounine s’efforçant, dans ses Lettres prophétiques à un Français, de soulever l’opinion contre la Prusse. Le triomphe de l’Allemagne marquerait, en Europe, l’avènement de la plus dure réaction. « Les idées de liberté se réaliseront en Russie : un retour au régime antérieur à 1905 ne saurait se concevoir. Le programme de l’autonomie des nations sera exécuté, et le principe fédératif introduit sur la carte de l’Europe. »

Pour d’autres raisons que le prince Kropotkine, le marxiste russe Plekhanow exprime le même sentiment belliqueux contre l’Allemagne, et, au rebours de Marx, il justifie son nationalisme par le matérialisme historique, par des considérations tirées uniquement de l’intérêt économique du prolétariat. Les traités de commerce, imposés par les agrariens allemands, entravent en Russie le développement de la production. L’essor industriel qui suivra la guerre sera favorable aux ouvriers.

En revanche, nombre de révolutionnaires russes à l’étranger ont pensé saisir, dans la guerre, une occasion favorable de combattre le tsarisme, dussent-ils, par-là même, favoriser indirectement la cause de l’Allemagne. Animés du même esprit, la demi-douzaine de députés socialdémocrates qui siégeaient à la Douma persévéraient dans leur opposition irréductible. A la séance du 8 avril, un de leurs orateurs déplorait « le bain de sang dont les classes dominantes, de tous les pays, sont responsables. Les prolétaires ne disposent pas des moyens de mettre une fin prochaine aux horreurs de la guerre, mais