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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/553

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leur sécurité, à leur vie même, la liberté et l’honneur national : « L’honneur, c’est de l’idéologie bourgeoise, dont les socialistes n’ont que faire ! » s’écrie Koster ; il explique aux camarades belges que l’Internationale ne peut tenir en temps de guerre. « Le matérialisme historique enseigne que le développement du prolétariat est lié à la prospérité économique. Donc, les socialistes allemands doivent se placer du côté du gouvernement qui défend l’existence même du pays contre les attaques de l’Angleterre, de la France et du despotisme russe. »

Si les Allemands avaient remporté une victoire immédiate, l’unanimité n’aurait pas été troublée dans le parti. Mais l’arrêt de l’invasion, la prolongation de la guerre, l’incertitude du succès devaient élargir les divergences entre les tendances diverses dans le parti.

A la séance du Reichstag du 2 décembre, une nouvelle déclaration des socialistes, lue par Haase, répondait à une seconde demande de crédits. Elle exprimait une bien timide réserve concernant la violation de la Belgique et du Luxembourg, se bornait à constater que « les faits connus ne suffisaient pas à justifier le point de vue du chancelier… » Chaque peuple avait droit à son intégrité, sans quoi de nouvelles guerres étaient en germe. Les troupes ennemies menaçaient encore les frontières de l’Allemagne. Mais, aussitôt la sécurité obtenue, il faudrait mettre fin à la guerre, de façon à rendre possible l’amitié entre peuples voisins… — Déclaration impeccable du point de vue internationaliste, mais, selon Bernstein, jugée trop académique.

La crise de la théorie et de la tactique, survenue au début de la guerre, s’étendait au sein du parti. Dans la fraction parlementaire, l’opposition s’était élevée de quatorze à dix-sept membres, sans qu’elle transpirât au dehors. Mais, au 2 décembre, Karl Liebknecht faisait bande à part : il votait seul contre les crédits. Une lettre remise au président du Reichstag et écartée par celui-ci expliquait son vote. Le texte en a été publié à l’étranger. Liebknecht dénonçait la guerre comme une entreprise capitaliste, impérialiste, bonapartiste, afin d’arrêter le mouvement ouvrier. Les gouvernemens allemand et autrichien l’avaient préparée dans l’obscurité du demi-absolutisme et de la bureaucratie secrète. Il protestait contre le mépris des traités et la dictature militaire. La socialdémocratie portait le joug de l’impérialisme et collaborait à son œuvre homicide,