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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/709

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le devoir et la gloire de mourir. Il y a là comme un retour, un renversement dramatique, dont une musique vraiment inspirée a bien rendu la force et la grandeur. On pourrait lui reprocher, à cette musique, un peu d’incorrection et d’embarras, ici de la gaucherie, ailleurs de la dureté, quelque chose enfin qui semble trahir par momens un amateur plutôt qu’un maître ouvrier. Mais ces négligences de style ou de grammaire sont de celles que l’idée ou le sentiment général nous permet, bien plus, nous conseille de négliger elles-mêmes.

La seconde composition de M. Lasserre a pour sujet la veillée pensive d’un officier auprès de ses hommes endormis. Il songe, et d’abord, ne fût-ce qu’un moment, à l’heure douteuse de l’aube, il doute. Avec des accens inquiets, avec des frissons d’angoisse, il interroge l’avenir et le destin de la patrie. Tout dans la musique : le chant, la déclamation, la couleur tonale et jusqu’à l’âpreté de certaines harmonies, tout donne à cet interrogatoire le caractère d’une mystérieuse et sombre émotion. Mais bientôt il se ressaisit et se rassure, le jeune chef. Il entend venir à lui des sonneries lointaines, sur un rythme, avec un accent déjà presque victorieux. Ses soldats, à ses pieds, dorment toujours. Quelques minutes encore, il contemple et bénit leur sommeil, il rêve avec eux leurs rêves. Soudain voici l’alerte, et l’attaque, et le combat. La musique elle-même y court, s’y précipite, et la scène s’achève par un vigoureux, un entraînant appel aux armes. Encore plus que l’élan, ou l’assaut final, j’aime la méditation qui précède. On pourrait y retrouver, — sans nulle autre analogie d’ailleurs que celle de la situation, — une réminiscence ou mieux un commentaire, actuel et bien fait pour nous toucher aujourd’hui, de ces deux vers chantés jadis, avec une tendre mélancolie, un matin de bataille également, par le Rodrigue de Massenet :


Que l’ange du sommeil effleure de son aile
Les fronts déjà promis à l’ange de la mort !


Ainsi les chants de M. Lasserre évoquent les deux aspects et comme les deux faces de la guerre. Ils traduisent avec la même vérité les sentimens, les passions adverses qui se partagent notre âme : notre haine contre nos ennemis, et pour nos frères, pour nos héros, notre sollicitude, notre piété et notre amour.

Un autre de nos musiciens, M. Xavier Leroux, doit à la guerre aussi quelques inspirations pures. Dans l’album que ne manqueront pas de former ses mélodies patriotiques[1], nous pouvons déjà marquer

  1. Choudens, éditeur, à Paris.