Les temps primitifs de Rome ne sont pas d’ailleurs les seuls pour lesquels il ait été desservi par ce qu’il faut bien appeler son étroitesse de jugement. Dans toute l’histoire de la période républicaine, il méconnaît trop souvent l’importance primordiale du facteur religieux. Voici par exemple la division topographique de Rome sous Servius Tullius : Mommsen déclare que c’est une réforme purement laïque, — six cents ans avant notre ère ! — alors que les chapelles des Argées dans chaque quartier, et les autels des Lares dans chaque rue, proclament bien haut l’intention de mettre sous la protection des dieux les diverses circonscriptions territoriales, et qu’au surplus cette intention est en parfait accord avec les tendances générales de cette époque. — Voici, un peu plus tard, les efforts obstinés du patriciat pour barrer aux plébéiens l’accès des hautes charges : Mommsen n’y veut voir qu’orgueil ou égoïsme de caste, et nullement l’effet de préventions religieuses : or tout, dans l’antiquité, nous montre les actes de la vie publique strictement liés aux rites traditionnels, et tout nous montre aussi ces rites accessibles aux seules familles nobles ; quoi qu’en dise Mommsen, un patricien, en laissant un plébéien devenir consul, croyait encore moins se dépouiller d’un droit que se rendre complice d’un sacrilège. — Plus tard encore, Mommsen rencontre Scipion l’Africain, avec ses visions nocturnes dans lesquelles les dieux viennent lui prédire l’avenir, et qui lui donnent tant de confiance en lui-même et tant de prestige sur la foule. L’historien allemand ne reconnaît là qu’un simple charlatanisme, à peu près comme celui que les « philosophes » du XVIIIe siècle attribuaient aux fondateurs de religions : « Scipion était bien loin, dit-il, de croire naïvement avec la masse à l’origine divine de ses révélations, et trop adroit pour vouloir la désabuser. » C’est bien vite dit : qui de nous peut savoir dans quelle mesure, chez un Romain du temps des guerres puniques, la foi sincère, l’enthousiasme mystique, se mêlait au calcul ? — En général, Mommsen tend à restreindre le rôle de la religion dans la société romaine, ce rôle qu’au contraire Fustel de Coulanges et ses disciples ont si bien mis en lumière, et qu’on ne saurait exagérer, s’il est vrai que toutes les institutions des peuples anciens ont été comme enveloppées pendant très longtemps d’une atmosphère religieuse. À ce point de vue, on est tenté de trouver juste le mot sévère de Gaston