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à travers les manifestations de son fougueux germanisme et des ambitions prussiennes, tout ce que sa femme et lui attendaient de cet enfant adoré, choyé, et qui grandissait alors dans une atmosphère de tendre sollicitude. Mais, ce qu’ils en attendaient ne pouvait se réaliser qu’à la condition qu’il leur continuerait la confiance filiale dont il leur donnait alors tant de preuves. Or, c’est cette confiance qu’avec un cynisme infernal Bismarck avait perfidement sapée et lentement détruite. Comment les infortunés parens auraient-ils pardonné au chancelier les ravages opérés par lui dans l’âme de leur fils et combien, à l’avènement de Frédéric III, ils eussent été dans leur droit et dans leur rôle, en chassant du pouvoir l’artisan de leur malheur ! Mais, nous l’avons dit, tel n’était pas leur dessein. Ils mettaient l’intérêt de l’Empire au-dessus de leur ressentiment, et, cet intérêt exigeant la présence du prince de Bismarck à la tête des affaires, ils étaient résolus à l’y maintenir.

Le chancelier le savait. Il était averti de leur résolution depuis le commencement de 1886. À cette époque, il l’avouait à Maurice Busch.

— Depuis que l’Empereur est gravement malade et approche de sa fin, disait-il, le kronprinz me traite avec les plus grands égards. Il comprend que le moment arrive où il va falloir qu’il se jette à l’eau et nage pour son propre compte. Il espère me garder et, effectivement, je resterai probablement à ses côtés. Mais il faudra que nous prenions ensemble quelques petits arrangemens.

Disons pour n’y pas revenir que ces petits arrangemens n’existèrent jamais. La mort rapide de Guillaume Ier et l’éloignement de Frédéric au moment où il devenait empereur ne lui permirent pas de conférer avec le chancelier sur les conditions de son maintien au pouvoir. Il n’y eut de conditions posées ni d’un côté ni de l’autre. Il était tacitement convenu que, jusqu’à nouvel ordre, il n’y aurait aucun changement dans l’orientation de la politique allemande et qu’on s’en tiendrait à celle qu’avait pratiquée Guillaume Ier dans les dix dernières années de son règne. C’en était assez pour satisfaire Bismarck, pour lui permettre d’attendre tranquillement la mort prochaine de Frédéric III et l’avènement de Guillaume IL Ce double événement devait, à l’en croire, se produire à brève échéance. A supposer que, jusque-là, quelques atteintes fussent portées à sa