Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/823

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pardonne pas. Les querelles qui se sont élevées d’abord entre eux et le praticien anglais Mackensie, lequel, contrairement à l’avis de ses confrères, soutient qu’elle n’est pas incurable, n’ont pas ébranlé sa conviction. Il en a voulu à sa mère d’avoir mis en doute le diagnostic de la Faculté berlinoise et d’avoir recouru aux lumières du plus illustre représentant de la Faculté britannique. Il a suspecté la sincérité de Mackensie et l’a soupçonné de s’être fait le complice de la princesse impériale, qui proclame partout qu’on exagère le mal et que son mari a devant lui de longs jours, grâce aux soins qu’elle lui prodigue. Puis, Mackensie a dû se rendre à l’opinion des Allemands. Au mois de septembre, appelé dans le Tyrol, où le kronprinz a passé l’été, il l’a engagé à s’établir pour l’hiver sur la Rivière de Gênes.

Frédéric a commencé par résister, en alléguant « qu’il était obligé de se réacclimater au climat de Berlin, » pour le cas où il y serait rappelé par la mort de son père. Il tenait aussi à ne pas laisser sans surveillance le prince Guillaume, dont la popularité dans l’armée et dans l’aristocratie prussienne grandit de jour en jour, et qui ne néglige rien pour l’entretenir. Frédéric a été contraint de faire litière de ces considérations. Il est parti pour San Remo, d’où on l’a vu revenir empereur, mais les pieds déjà dans la tombe.

Le nouveau kronprinz ne serait digne ni de ses ancêtres, ni de la brillante destinée qui lui est promise, s’il ne se préparait pas à gouverner en s’initiant autant qu’il le peut aux questions que, une fois le maître, il aura mission de résoudre. Si, par impossible, il était tenté d’oublier ce qu’il doit à l’avenir qui l’attend et de réduire son rôle à celui d’un spectateur désintéressé, les flatteries et les hommages dont il est l’objet le rappelleraient à son devoir. Bismarck le tient au courant de tout ce qui touche au gouvernement, les ministres et les hauts fonctionnaires le consultent, les diplomates étrangers lui prodiguent leurs hommages. Les envoyés de Léon XIII, Galimberti et Merry del Val, le traitent, nous dit M. Georges Goyau, « comme une façon d’empereur. » Hohenlohe, au milieu des difficultés que lui crée Bismarck dans son gouvernement d’Alsace-Lorraine, va les lui soumettre, et, à propos de l’introduction des passeports dans les provinces annexées, l’entendra lui dire « qu’il faut traiter les Français par la violence. » Dans ce jeune