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gloire et que des millions de poitrines chantèrent pendant cent ans comme un chant national :


Oh ! épée à mes côtés,
Que veut la joyeuse flamme
De ta lame trempée…


Dans sa hantise romantique il la compare à l’épousée impatiente de se donner à lui :

C’est la veillée nuptiale dans l’attente d’une bataille où il est sûr de trouver la mort. L’épée le presse de la prendre et de fêter avec elle leurs noces sanglantes. Il lui parle d’abord sur le ton passionné d’une volupté contenue, qui dans un chuchotement précipité promet des caresses pour l’aube naissante quand la trompette sonne au camp et que les tambours roulent sur la plaine endormie. Alors seulement il veut l’étreindre et partir avec elle dans l’ivresse de la mêlée sous le grand ciel qui s’illumine le matin. « Reste encore, supplie-t-il, bientôt nous irons chevaucher ensemble dans le beau jardin d’amour où les roses rouges brillent dans les sombres haies de leur éclat de sang et de pourpre. » Les minutes s’enfuient, hallucinantes et fébriles, derniers dons d’une vie que la grande faux guette pour la moisson funèbre. Enfin l’aurore vient, la victoire couronnée de fleurs sourit dans les buées déchirées de l’horizon. Partout la lumière chasse les ténèbres, inonde la terre qui attend et qui espère. « Holà, crie-t-il. Viens, viens, ma douce fiancée d’airain ! Hors de ta prison ! Comme il fait beau à l’air libre sous le rayon nuptial ! » Il la prend dans ses bras, saute sur son coursier et les voilà qui chevauchent vers la mort certaine. « Viens ! répète-t-il dans l’extase de l’heure suprême, je ne te laisserai pas ! Avec toi je veux goûter la joie du combat, avec toi j’irai jusque vers la tombe toute proche et tu me mèneras à la fin vers l’autre maison paternelle, maison de gloire et d’immortalité ! Vois comme les flammes jaillissent du sol, comme la flamberge lance des étincelles. Hourrah ! hourrah !… »

La chanson est finie, les chandelles tremblent sur le vieux clavecin. Leur flamme vacillante courbe ses pointes au gré du souffle nocturne. Le long des murs, les spirales qui montent et tourbillonnent jusqu’aux cintres mêlent leur tourment aux acres fumées de la tabagie soldatesque. Par momens, les cosaques traversent la pièce en marchant avec une maladresse