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Cependant, il ne s’est pas borné là. Si captivantes, si aiguës que nous paraissent ses sensations d’œil et d’oreille, nous nous attachons davantage à ses sensations de soldat, lorsqu’il nous fait par exemple suivre avec lui les marches, une après-midi de sirocco, alors que la colonne, râlant de soif, pliant sous le poids du « barda, » la chair meurtrie par les cuirs racornis des courroies et des chaussures, poursuit néanmoins sa route dans une chaleur d’étuve ; lorsque, dans l’obscurité, nous partageons les subites alertes ; lorsqu’il nous rend si exactement la psychologie de l’homme et de l’officier pendant le combat, passage qu’il faut retenir parce qu’il diffère d’une façon notable des tirades conventionnelles dont véritablement on abuse : « Au feu comme pendant la marche, la bête domine, et le cerveau obéit à ses suggestions. Les anxiétés sont d’ordre essentiellement physique, et c’est plus tard seulement, l’esprit redevenant le maître, que leur mesquinerie étonne et déconcerte. Durant l’action, elles règnent despotiquement, uniquement. Il ne subsiste chez le combattant, et particulièrement chez le fantassin, que des réflexes professionnels et ces obsessions de la soif, de la faim, de la fatigue. Le danger, la gloire, qui s’en occupe ? » Et pourtant, qui mieux que Nolly a connu le troupier, lui a rendu hommage ? Qui a mieux su le dessiner d’un trait sûr, profond, pittoresque, caractéristique ? Chasseur d’Afrique, goumier, spahi, lignard, légionnaire, colonial, tirailleur, convoyeur kabyle, tringlot, il a fixé chacun d’eux sur les feuillets de son journal de marche, non seulement avec la silhouette, le maintien, la mentalité qu’il tient de sa race, mais encore avec les empreintes qu’il a reçues, dans l’arme où il sert, des officiers qui ont présidé à son éducation, à sa formation militaire. Tout le long de son œuvre, de Hiên le Maboul, Annamite, au Sénégalais Samba Dialo, Nolly s’est constamment appliqué à éclairer cette action du chef sur les subordonnés, à en démontrer des exemples typiques, principalement en ce qui concerne les troupes indigènes. « Français bien connaisse manière, » lui déclare un jour son ordonnance, le Sénégalais Samba Dialo, soudain illuminé, émerveillé par la compréhension de cette aptitude qu’ont nos compatriotes à tirer des troupes solides, et souvent incomparables, des diverses régions du globe où se trouvent nos colonies. Mais Nolly a également salué d’un éclatant témoignage le soldat de notre pays, dont nul autre, proclame-t-il,