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sûretés contre lui, j’essaierai de donner ici son signalement, à toutes fins utiles.

L’occasion m’en est fournie par un volume qui vient de paraître : Le théâtre de demain[1]. MM. Guillot de Saix et Bernard Lecache ont posé à un certain nombre de personnes qualifiées cette question : « Quel sera le théâtre de demain ? » Ils publient les réponses qui leur ont été envoyées. Est-il besoin de faire remarquer, puisque MM. Guillot de Saix et Bernard Lecache en conviennent tout les premiers, que la question, telle qu’ils l’ont posée, est mal posée, et faute d’un peu plus de précision, ne comporte pas de réponse’ ? Ce que sera le théâtre de demain, nul n’en sait rien et n’en peut rien dire : cela dépend de trop de conditions dont nous ne pouvons encore mesurer l’influence, et pour cause. Quand même nous aurions en mains toutes les données du problème, il resterait à compter avec cette coquetterie que met la réalité à déjouer nos prévisions. Allons-nous, à peine les hostilités terminées, assister, comme plusieurs nous en menacent, à une surproduction de vaudevilles ? La France aujourd’hui si grave, si noblement recueillie, dont l’attitude fait l’admiration du monde, va-t-elle être prise d’un immense fou rire et d’un incoercible besoin de se désopiler la rate ? Aura-t-elle, au contraire, repris le goût des œuvres sérieuses, des pensées fortes et élevées ? Encore une fois, nul n’en peut rien savoir et tout ici n’est que vaine hypothèse.

Il ne s’ensuit pas que la question soit sans intérêt et sans portée. Et d’abord, je m’élève dei toutes mes forces contre le doux fatalisme de quelques-uns parmi les correspondans de MM. Guillot de Saix et Bernard Lecache. D’après ces esprits transcendans, la crise terrible que traverse la France n’aura sur les tendances de notre littérature dramatique aucune action, car les plus grands événemens de l’histoire générale ne modifient pas l’histoire littéraire, et en tout cas nous n’y pouvons rien. Ils l’affirment, mais ils se trompent. Quand il serait vrai que ni les guerres de l’Empire, ni la guerre de 1870, n’ont influé sur notre scène, comment tirer de ces « précédens » une conclusion qui s’applique à la guerre actuelle ? Pour la première fois, le pays tout entier a été atteint : unanime dans l’effort et dans le sacrifice, il a été tout entier à l’épreuve et à l’honneur : au lendemain de la guerre, il n’y aura presque pas une famille en France qui ne soit en deuil et qui ne vive dans la pensée de ce deuil glorieux. Mais il n’est aucunement

  1. Guillot de Saix et Bernard Lecache Le théâtre de demain, 1 vol. (Éditions de « La France »).