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parties du théâtre d’hier. Si nous ignorons ce que sera le théâtre de demain et si nous hésitons sur ce qu’il devra être, nous savons à n’en pas douter ce qu’il ne doit plus être.

Il ne doit plus être consacré exclusivement aux petites drôleries de l’adultère. C’est un point sur lequel tout le monde s’accorde avec une touchante unanimité : il n’y a qu’un cri. Nous en avons assez et plus qu’assez, nous sommes saturés, écœurés des pièces, ou plutôt de la pièce sur le sempiternel ménage à trois. Car c’était toujours la même pièce, arrangée, retapée, raccommodée, rapetassée et toujours plus vieille à chaque rajeunissement, plus usée et montrant davantage la corde. De là cette impression de monotonie et de déjà vu qu’on éprouvait si souvent au théâtre. La toile se levait, et d’abord on concevait quelque espoir ; mais voici que le sujet de la pièce se dessinait ; il était celui que vous savez : c’était à pleurer. De là aussi ce peu d’intérêt que présentaient tant de pièces, cette pauvreté d’idées, cette indifférence à tout ce qui occupe, inquiète, alarme, enthousiasme une société. A l’alcôve se limitait leur univers. Vous me direz : a C’est la tradition, nous sommes en pays gaulois. » Quelle erreur ! Cette importance que nous attachons à l’adultère est précisément au rebours de notre tradition. C’était la règle, en pays gaulois, de n’en pas faire tant d’affaires. On en riait, entre hommes, on s’en gaudissait entre bons raillards, on se régalait de détails cyniques et de mots crus. Après quoi, et le juste cours donné à une gaieté déshonnête, on parlait d’autre chose. Au théâtre, nous ne parlons pas d’autre chose. Cela date des romantiques. Ils ont été admirables pour tourner au drame les situations qui jusque-là semblaient surtout comiques, et changer, pour peu qu’ils eussent du génie, l’École des Femmes en Hernani et les Précieuses ridicules en Ruy Blas. Ils venaient de découvrir la passion : ils en mettaient partout. C’est avec eux que le drame d’adultère s’est emparé de notre scène, qu’il a transformé notre comédie, envahi et faussé tous les autres genres. Le romantisme a passé, l’adultère est resté. Tour à tour élégant, sentimental, ironique, triste ou gai, il est devenu le tout de notre scène, pour la plus grande commodité des auteurs, dispensés de se mettre en frais d’invention, et pour le plus grand détriment de notre art dramatique, condamné à repasser sans cesse dans la même ornière.

Le malheur est que beaucoup de gens nous jugent sur notre théâtre. Qu’ils y mettent de la bonne volonté, cela est possible. Qu’ils s’empressent d’accueillir le témoignage qui nous est défavorable, je n’en doute pas et j’y reviendrai. Il reste que ce témoignage qui nous