Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accuse est le nôtre : ce sont les Français peints par eux-mêmes. A. voir que dans la plupart des pièces écrites chez nous, représentées devant nous et applaudies par nous, les maris sont uniquement occupés à tromper leurs femmes et les femmes à tromper leurs maris, les étrangers peuvent croire que la vie de foyer n’existe plus dans notre pays et qu’il n’y a plus d’honnêtes femmes en France. Il est vrai seulement qu’il n’y en a guère sur notre théâtre.

Nous avons des peintres de mœurs pleins de talent, qui se sont fait une spécialité de peindre exclusivement les mauvaises mœurs. Je sais bien ce qu’ils pourraient répondre : que la comédie s’est, de tout temps, attaquée aux travers et aux vices, et qu’ils font leur métier d’auteurs comiques. N’a-t-on pas imaginé, ces jours-ci, pour excuser une reprise de l’Assommoir, de la présenter comme un épisode de la lutte contre l’alcoolisme ? Rendons-leur cette justice qu’ils ne recourent pas à d’aussi piètres argumens. Ils avouent, — dirons-nous : de bonne grâce ? — que, s’ils peignent les mauvaises mœurs, c’est qu’elles sont plus faciles à peindre que les autres, le spectacle de la vertu n’ayant par lui-même rien d’excitant, et qu’elles amusent davantage le public. Donc ils s’appliquent à ces tableaux de corruption : ils soignent, ils raffinent, ils fignolent.

Les deux dernières nouveautés en ce genre ont été le « théâtre violent » et le « théâtre morbide. » Pour ce qui est du premier, la genèse s’en explique d’une façon curieuse, à laquelle peut-être n’a-t-on pas fait assez attention. Le vieux mélo, celui qui jadis fit les beaux jours du boulevard du Crime, est passé de mode, et le détestable drame policier ne l’a remplacé qu’en partie. Mais les genres ne meurent pas, ils se transforment. Le mélodrame a reparu dans un autre cadre et sous un autre costume. Il a emprunté le décor de la comédie, et ç’a été toute la différence. Nous avons retrouvé tout son personnel, escrocs, forbans, faussaires, tricheurs, voleurs et assassins, avec la mentalité, les gestes et le langage spéciaux à ce gibier de potence. Seulement, tandis qu’autrefois on nous les donnait pour ce qu’ils étaient, rôdeurs et chourineurs, on nous les présente maintenant comme gens du monde. On les a tirés des bas-fonds où ils grouillaient, pour les faire émerger à la surface la plus brillante. Ils étaient le rebut de la société, ils en sont devenus la fleur. Cette transposition est un audacieux défi à toute vraisemblance et à tout bon sens ; mais elle prête à des effets faciles : dans un milieu de vie élégante, découvrir soudain des mœurs que désavoueraient les crocheteurs, cela saisit par la vivacité et l’imprévu du contraste. Cela secoue les