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révèlent toujours les mobiles du dedans ; et chaque jour j’ai vu, en Allemagne, la jeune fille faire sa révérence, l’écolier abaisser humblement sa casquette presque au ras de terre, le soldat saluer avec la rigidité d’une figure de bois, tout cela suivi bientôt d’une grimace de haine ou de mépris, dès qu’avait disparu toute crainte d’être découvert. Toujours, chez les Allemands, le signe de respect accordé par l’élève au maître est simplement l’effet d’une « consigne » inflexible, et non pas un hommage au caractère du maître ; toujours le salut obséquieux du soldat s’adresse à l’uniforme du chef, et non pas à l’homme qui en est revêtu.

Le « signe de respect, » Ehrenzeichen, est un mot écrit en grosses lettres sur tous les chemins de la vie de l’Allemand. A l’école, on lui apprend à faire emploi de ce signe jusqu’à un véritable degré d’abaissement servile ; après quoi, ses années de service militaire lui en inculquent l’habitude plus tristement encore. Pas de symbole plus frappant de la sévère et pointilleuse réglementation qui caractérise la vie allemande, accoutumant la race à établir une séparation profonde entre cette vie extérieure et celle du dedans. Le dehors doit toujours être absolument « correct : » mais aussi l’Allemand moyen ne s’inquiète-t-il pas de ce qui se trouve caché derrière cette surface, non plus que ne s’en inquiètent les maîtres qui président à sa formation. A l’école primaire tout de même que, plus tard, au régiment, ces maîtres se bornent à exiger que l’élève ou le soldat leur accorde scrupuleusement les marques extérieures du respect qui leur est dû : mais c’est chose bien rare qu’ils s’efforcent, si peu que ce soit, d’inspirer le respect par le moyen de leurs propres qualités personnelles.


L’auteur anglais nous décrit ensuite quelques-unes des manifestations les plus comiques de cette « politesse extérieure » dont s’imprègne tout Allemand dès son entrée à l’école primaire. Il nous raconte de quelle façon lui-même, au début de son séjour en Allemagne, avait failli prendre au sérieux les complimens dont on l’accablait, jusqu’au jour où il s’était aperçu de tout ce qui se cachait, derrière eux, d’indifférence totale pour le mérite propre du Herr Professor. C’est de la même façon qu’un de mes amis se flattait ingénument d’avoir obtenu tour à tour, pendant ses voyages en Allemagne, chacune des qualifications honorifiques dont se sert le plus volontiers la « platitude, » — ou la « flagornerie, » — d’outre-Rhin. Dans sa jeunesse, portiers d’hôtel et voisins de table à la brasserie s’étaient tacitement mis d’accord pour l’appeler Herr Doktor : après quoi une courte période d’élégance mondaine lui avait valu de devenir, communément, Herr Baron ; et c’était enfin du titre de Herr Professor qu’il s’était entendu saluer durant son dernier passage à travers l’Allemagne. Inutile d’ajouter que mon ami n’avait droit à aucune de ces « distinctions, » et n’avait absolument rien fait pour se les attirer ;