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pour mon compte, du spectacle d’un pareil mélange de grossièreté et de « civilité, » par exemple chez des voyageurs allemands qui dans mon wagon, après avoir écarté d’un haussement d’épaule l’humble protestation d’une dame qu’ils asphyxiaient sans pitié de l’acre fumée de leurs cigares, se prodiguaient entre soi, avec maints gestes surannés, d’obséquieuses formules de courtoisie ou de vénération ! Mais c’est que, pour leur attitude à l’égard de la dame inconnue, ces modèles parfaits de leur race n’avaient trouvé à s’inspirer que de leur propre cœur, où personne jamais ne s’était avisé d’introduire aucun élément de véritable « culture, » délicate et « humaine, » tandis que leur attitude à l’égard des personnes de leur connaissance leur avait été enseignée naguère, une fois pour toutes, sur les bancs de l’école et sur ceux du collège, par un groupe d’impérieux et sévères professeurs. J’ai lu quelque part l’histoire plaisante d’un indigène de je ne sais plus quelle île qui avait fort surpris l’un de nos compatriotes par sa manière de parler notre langue. Ce brave homme n’y employait absolument que des mots commençant par une quelconque des douze dernières lettres de notre alphabet ; et cela parce que, jadis, les hasards d’un naufrage l’avaient mis en possession du second et dernier volume d’un dictionnaire français. Si bien qu’il avait appris tous les mots à partir de la lettre L ou M, mais ignorait complètement les mots contenus dans le tome premier de son dictionnaire. Semblablement il en est de toute la nation allemande, à ce point de vue de la politesse, dont il y a une moitié qui lui est familière et une autre moitié qu’elle ne soupçonne point, faute pour elle d’en avoir été instruite par ses premiers maîtres. Ou plutôt, les deux cas se ressembleraient, si le malheur ne voulait pas que le morceau de notre politesse enseigné aux Allemands fût, à beaucoup près, le moins important, et ne servant en somme qu’à mieux accuser l’absence totale, chez eux, de cette seule « civilité » authentique dont les règles ne se laissent pas enfermer dans un « manuel » scolaire !


Sous le rapport d’une politesse toute superficielle, — nous dit très justement M. Thomas Smith, — et pour ce qui est, par exemple, de savoir donner des coups de chapeau, frapper aux portes avant d’entrer, se tenir tête nue en présence d’un supérieur, etc., le jeune garçon allemand peut « rendre des points » à l’un de nos écoliers anglais : mais combien ce dernier apparaît mieux pourvu d’une autre politesse, celle-là plus « intérieure, » qui consiste à témoigner de sentimens délicats, à montrer des égards sincères vis-à-vis de l’ainé et du compagnon, vis-à-vis des autres hommes en général ! Car il s’en faut bien que les formes extérieures