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prenait le besoin d’oraison, il poursuivait ses interminables travaux d’exégèse et voulait se faire prêtre : « — Je ne dis pas quand cela sera, confia-t-il à son chancelier, mais il faudra bien que cela soit tôt ou tard. Pour moine, je ne le serai jamais. »

D’Argenson estime que cette humilité princière cachait mal un orgueil profond : « Tout son objet, dit-il, est de devenir un grand saint… il se croit le talent, singulier pour un Prince, de savoir à fond la théologie, de l’avoir puisée dans l’Écriture Sainte et dans les Pères. »

Il s’essayait déjà aux renoncemens de la vie religieuse, à l’exception, toutefois, du sacrifice le plus difficile : l’oubli des rancunes.

L’ancienne blessure d’amour-propre qu’il avait reçue du Roi ne se fermait pas, et son aversion était demeurée telle, que non seulement il évitait de le rencontrer, mais qu’en entendre parler lui était insupportable. C’est peut-être même le désir d’élever une barrière infranchissable entre Louis XV et lui qui pesa le plus dans la résolution du Duc d’Orléans de se retirer définitivement au couvent de Sainte-Geneviève.

Depuis longtemps, il n’allait plus au Palais-Royal, que pour visiter sa mère ou présider son Conseil.

Sa santé, naturellement délicate, devenait tout à fait mauvaise : cet innocent payait les débauches paternelles.

La goutte, maladie dont il devait mourir, le tourmentait cruellement. Elle remontait parfois à la poitrine et lui donnait la fièvre. Souvent au cours de ses nuits agitées, il faisait appeler son médecin, afin qu’il le saignât. Son régime, aussi, ne laissait pas d’être détestable. Il mangeait, dit Argenson, de la viande de boucherie, comme un Anglais, et ne buvait qu’en sortant de table. Il entremêlait le tout d’austérités ridicules et nuisibles. Son choix, en matière de mortifications, était, en vérité, plus propre à exciter la gaité que l’édification ; c’est ainsi qu’il allait à la messe un missel sous le bras et, dans le corps, un lavement, gardé stoïquement pendant tout l’office.

« A force d’être sage, il devenait fol, » conclut judicieusement son chancelier. Une réflexion analogue fut faite, quarante ans plus tard, au sujet de sa petite-fille, Bathilde d’Orléans, mère du Duc d’Enghien, que passionnait la lecture des Pères de l’Église : « Leur sagesse, disait-on, entretient sa folie. »

La misanthropie du Prince, s’accentuant chaque jour, lui