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Strauss passe à de plus graves doléances. Renan avait souhaité de voir l’Allemagne du Sud apprivoiser la Prusse. Strauss, Wurtembergeois lui-même, mais grand admirateur de la Prusse, de ses Bismarck et de ses Moltke, redresse sur ce point le jugement de son contradicteur français. Comme animal politique (c’est le terme qu’il emploie), le Prussien l’emporte, et de beaucoup, sur l’Allemand du Sud. Strauss va jusqu’à prendre contre Ernest Renan la défense des hobereaux de Poméranie, « celle anti-France de la Baltique, » comme l’avait ingénieusement qualifiée le philosophe français. Strauss admet que cette caste ne doit plus fournir à elle seule les chefs de la société allemande : « Pour l’Etat allemand qu’il s’agit de créer, nous voulons pleine liberté de concurrence, sans différence de condition ; » mais il noie ce vœu dans un tel galimatias d’hommages aux gentilshommes de Prusse qu’il est impossible de prendre au sérieux ses aspirations égalitaires.

Le niveau de la discussion s’abaisse encore d’un degré dans la partie de la lettre où Strauss examine la question des nouvelles frontières. Dans l’article de la Revue, Renan avait plaidé pour le maintien des frontières de 1815, non de 1814. Peut-être ne l’avait-il pas indiqué assez clairement ; mais l’idée se dégageait nettement de l’ensemble de l’article. Soit qu’il comprit mal, soit qu’il voulût mal comprendre, Strauss travestit totalement la pensée de son correspondant français.

Il proteste avec aigreur contre le plaidoyer de Renan en faveur des frontières de 1815 : « Comme vous parlez, déclare-t-il, des frontières actuelles, on est tenté de penser aux accords de 1815. Mais il découle de votre article de la Revue que vous avez en vue bien plutôt les accords de 1814. Nous devrions donc perdre de nouveau Sarrelouis et Landau avec leurs territoires dont nous n’avons pris possession qu’en 1815. Tel devrait être le châtiment de la France pour la guerre criminellement entreprise, tel devrait être le prix de nos glorieuses, mais sanglantes victoires ! Nous devrions livrer un nouveau morceau de terre et encore à un agresseur vaincu ! Non, si un homme aussi raisonnable que l’est Ernest Renan peut soumettre au tribunal arbitral qu’il préconise une telle proposition, nous sommes pleinement autorisés, comme nous avons fait la guerre tout seuls, à vouloir dicter tout seuls les conditions de la paix. »

L’heure n’est pas au sentiment. Le moment est passé de la