Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clémence. Strauss estime que l’Allemagne doit, sans l’ombre d’hésitation, faire rendre à la victoire tout son effet utile. Ses argumens sont ceux du prince de Bismarck : la France ne pardonnera pas à son vainqueur. En tout état de cause, elle préparera la revanche. Pourquoi donc l’épargner ? Ernest Renan, on l’a vu, soutenait le contraire. Il promettait à une Allemagne généreuse une alliance franco-anglo-allemande qui assurerait le progrès pacifique de l’Europe ; mais Strauss restait sceptique. Pourquoi donc renoncer à l’Alsace et à la Lorraine puisque aussi bien Renan reconnaissait le germanisme de ces provinces ?

Fort des paroles du philosophe français, Strauss écrivait avec une lourde ironie : « La France ne doit plus pouvoir exister, si on lui prend ses provinces allemandes… Je ne voudrais pas avoir fait cet aveu, si j’étais Français. »

Ernest Renan avait attaqué au fleuret. On lui répondait à coups de matraque.


David Strauss avait prouvé qu’il manquait de goût. Il lui restait à prouver qu’il manquait de tact. La preuve arriva, aussi convaincante que possible.

Strauss avait publié sa réplique dans la Gazette d’Augsbourg ; mais alors que le Journal des Débats avait loyalement inséré une traduction de sa lettre avant la réponse de Renan, la Gazette d’Augsbourg avait refusé d’imprimer l’article de Renan auquel Strauss répondait. Dans une lettre à Ritter (17 octobre 1870), Strauss rapporte que la Gazette d’Augsbourg lui a retourné la prose de Renan comme étant « sans importance. » La Gazette d’Augsbourg aurait sans doute changé d’avis, si Strauss avait insisté. Ce journal n’avait rien à lui refuser. Mais Strauss n’insista pas.

De sorte qu’il répondait dans sa seconde lettre à un adversaire bâillonné, ce qui n’est pas une manière très élégante de répondre. Il fit encore mieux par la suite. Avec une traduction de la première lettre de Renan précédée de sa première lettre à lui Strauss et suivie de sa seconde lettre, il forma une brochure, Guerre et Paix[1], qu’il fit vendre par son libraire au

  1. Krieg und Friede. Zwei Briefe an Emst Renan. Nebst dessen Antwort auf den ersten. Leipzig, 1870.
    Cet opuscule a été réimprimé dans le tome I des Gesammelte Schriflen de Strauss. Bonn, 1876.