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avait à côté d’Elle le grand-duc héritier (Alexandre III). Avant de me laisser faire mon rapport, l’Empereur dit qu’il fallait décider de la réponse à faire au général Todtlchen. Voyant les retards qu’apportaient les Turcs à l’évacuation des forteresses de Schoumla et Varna et la marche lente des travaux du Congrès, le commandant en chef demandait s’il y avait espoir d’une solution pacifique. Dans le cas contraire, ayant sur notre flanc et presque sur nos derrières une assez forte armée ennemie dans les Balkans, il craignait que la retraite ne fût très difficile, et alors il demandait l’autorisation de la commencer dès à présent, en prenant certaines dispositions stratégiques que le général Obroutcheff était appelé à expliquer sur la carte. La discussion technique qui s’engagea était en dehors de ma compétence, mais l’Empereur, s’adressant à moi tout à coup, me demanda ce que j’en pensais et si, à mon avis, on pouvait compter que les Turcs finiraient pourtant par évacuer les forteresses ainsi qu’ils y étaient obligés par le traité de San Stefano, et même par la nouvelle organisation prévue pour la Bulgarie à Berlin. Je répondis à Sa Majesté que l’état actuel des négociations à Constantinople et les dispositions des Turcs m’étaient inconnus ; que l’issue des pourparlers engagés à Berlin dépendait des ordres que j’y apporterais ; mais que je pouvais affirmer une chose : si on retirait nos troupes de devant la capitale turque, on devait être certain que les troupes ottomanes n’évacueraient plus les forteresses. Le seul moyen de pression sur le Sultan que nous avions encore, c’était la présence de nos soldats sous les murs de Constantinople. Dès qu’elle cesserait, les Turcs se sentiraient doublement enhardis à nous résister.

Mon raisonnement fut approuvé par tout le monde, mais il ne résolvait pas la question que posait le général Todtleben. Il insistait pour avoir des ordres précis et exposait les motifs qui lui faisaient désirer de rapprocher son armée de la base d’opérations qui était le Nord des Balkans, le Danube et la frontière russe. Je suggérai alors une idée qui plut et fut adoptée : c’était de commencer à évacuer la Péninsule en faisant passer au Nord le gros train, la grosse artillerie et même de faire faire un mouvement rétrograde aux troupes qui occupaient le centre de la Roumélie et dont la marche en arrière serait moins remarquée. On pouvait même affaiblir les troupes qui se trouvaient entre Andrinople et Constantinople, mais garder sur les